Déclinaisons d'un aphorisme d'Éric Chevillard. "804… 805… 806… j’avais très rigoureusement repris le compte des herbes de mon jardin en pliant celles-ci au fur et à mesure, cette fois, afin de ne pas me tromper, mais à la 807ème ortie, ma main enflée, engourdie de douleur, n’est seulement plus capable de bouger les doigts, j’abandonne."
dimanche 29 janvier 2012
Une petite bottine
Un matin qu’Albertine était sortie avec Andrée, je restai un instant devant la fenêtre à contempler un troupeau de nuages maussades et songeai à l’insatiable appétit qui poussait ainsi les jeunes filles et les femmes à courir vers ces temples pavoisés où l’on célébrait au commencement de chaque l’hiver la dispendieuse fête des Aubaines et Ventes spéciales, et qui, aussi impérieusement qu’une divinité archaïque, les appelait à se presser sans retard devant des autels chatoyants tout couverts de lourdes soieries nacrées. L’envie me prit d’ouvrir la garde-robe de mon amie comme pour y chercher une réponse à cet inexplicable élan, et je les vis alors, amoncelées sur le fond de la penderie, sombre trophée de guerre, avec leurs crochets d’or fauve, leurs mignonnes semelles lisses et leurs fins cuirs crispés qui à mes yeux fatigués semblaient décliner les nuances successives d’un ciel nocturne. Je les sortis une à une et les réunis en paires, jusqu'à couvrir le parquet d’un régiment fantôme dont n’auraient subsisté que les brodequins, mais l’une d’entre-elles, la huit cent septième, demeurait solitaire. Ma jalousie se réveilla, douloureuse et pesante à mon cœur. Cette bottine absente, oubliée sans doute par Albertine dans quelque lieu de perdition, me contait sa trahison et l’ampleur de mon infortune.
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