jeudi 30 septembre 2010

#203 – Rentrée 1

Ce sont des lettres enfilées sur des pages empilées dans des livres entablés le long d’étagères emmagasinées dans des boutiques enruées au cœur de trottoirs envillés sur un sol karstique sillonné de cours d’eau.


Quand à la rentrée littéraire sortiront 807 romans, Chevillard aura le Goncourt.


C’est tout de même étrange que pendant la rentrée littéraire tant de livres sortent.

mercredi 29 septembre 2010

#202 – Candide on line

Cela faisait déjà un petit moment que Candide se posait des questions. Quand il avait été invité sur Facebook par son ami Pangloss il n'y avait pas vu malice, et avait même été flatté qu'on s'intéresse à lui. Petit à petit, les amitiés virtuelles l'avaient aidé à surmonter sa timidité et il s'était constitué un réseau d'amis, démarrant par ses collègues de bureau pour s'enhardir jusqu'à taper le nom de ses écrivains favoris dans le moteur de recherche. Car Candide aimait lire. Beaucoup. Même qu'il n'osait pas trop le dire au bureau, de peur qu'on le traite d'intello. À présent ils étaient tous au courant et l'enviaient même un peu d'avoir autant de contacts. 807 amis, pour un pauvre type comme lui, c'était quand même fort ! Du coup il y avait gagné une forme de respectabilité.


Mais Candide était perplexe. Après l'euphorie des premiers échanges avec des écrivains plus ou moins connus, il avait été déçu. Ils lui semblaient parfois se comporter comme autant de Rois Soleil entourés d'une cour servile d'admirateurs virtuels. Finalement Facebook c'était comme au bureau, comme dans la vie, il y avait des leaders statuant jusqu'à plus soif et ceux qui les suivaient, comme Candide. C'était une foire aux vanités, chacun tirant la couverture à soi sans jamais s'occuper des autres. Candide tout dépité de demandait s'il n'allait pas fermer son compte et tout envoyer balader.


Jusqu'à ce que Cunégonde apparaisse, le poke, et l'ensorcelle.

mardi 28 septembre 2010

#201 – Voyage in the pocket

La Saga de Youza du Lituanien Youozas Baltouchis ; Corps et âme de l’Américain Frank Conroy ; La Demande de la Française Michèle Desborde ; Mikael K, sa vie, son temps du Sud-Africain JM Coetzee ; Train de nuit pour Lisbonne du Suisse Pascal Mercier ; Séfarade de l’Espagnol Antonio Munoz Molina ; Givre et sang de l’Anglais John Cowper Powys…


En poche, la liste des chefs-d’œuvre récents, figurant au top des non-rentrées littéraires des années passées, est longue et passionnante. Que de belles relectures autour du monde ! Plus de 807, assurément.


Bye ! La Vie est ailleurs (du Hongrois Milan Kundera) que dans les tristes colonnes mercantiles. La littérature, c’est Une ardente patience, écrivait le Cubain Antonio Skármeta. Ce n’est pas L’Importance de vivre du Chinois Lin Yutang qui me contredira. Essayez de voyager pas cher avec eux, au lieu de vous chamailler. La vie est trop courte pour faire du sur place !

lundi 27 septembre 2010

#200 – La retraite

si elle touche 807 euros nets, elle s'estimera heureuse
et même ça l'amuserait


mais il est sûr, une fois sa réserve épuisée, qu'il faudra qu'elle renonce aux jolis carnets Moleskine pour écrire des 807
aux terrasses où elle ne pourra plus aller parce que la noisette à 1 euro 50, tous les jours et Libé tous les jours
c'est du luxe et on ne peut pas dire que ça ne mange pas de pain...


elle s'en fout ! elle a 807 chansons dans la tête pour la consoler

dimanche 26 septembre 2010

#199 – Pierres précieuses

Article 102 du code de la lapidation : Les pierres utilisées pour infliger la mort par lapidation ne devront pas être grosses au point que le condamné meure après en avoir reçu une ou deux. (...) La taille moyenne est choisie généralement afin de faire expier la faute par la souffrance.


Article 104 : Les pierres coupantes sont choisies pour leurs arêtes effilées qui provoquent les saignements les plus spectaculaires. Une pierre coupante doit de préférence être lancée au visage du condamné. Les pierres rondes nécessitent moins de précision car elles sont efficaces partout. Elles sont idéales pour briser les os et provoquer les hémorragies internes fatales.


Annexe : La pierre est un instrument de délivrance pas de jouissance. Il ne sera accordé aux serviteurs du Tout-Puissant que 807 pierres pour satisfaire aux exigences du châtiment.

samedi 25 septembre 2010

#198 – Je panse donc je suis

il en a bu des verres
pour soigner ses bleus
le gros célibataire


On retrouva le cadavre du clochard, parmi 807 autres. De bouteilles, ceux-là.


L'auberge est bondée, on fuit la chaleur à l'intérieur de ses murs, et on boit.
– Il faudrait que je pense à panser mes blessures...
L'homme qui prononce cette phrase porte une moustache, il a les yeux clairs, ce qui plaît aux femmes de ce pays, il tient à peine debout, il lève son verre et s'écroule.
– Quand il commence à se prendre pour un poète et à parler en alexandrins, c'est qu'il est fin rond, le bonhomme !
– Tu m'étonnes, et puis, bourré ou à jeun, ce poivrot n'arrivera jamais à la cheville de Verlaine...
Et l'aubergiste de porter le soûlard dans sa chambre. Rien que du normal, à Aden, en ce mois de mai 1882.

vendredi 24 septembre 2010

#197 – Peines de cœur

Chaque pas est une montagne, se lever, pas plus rester figée des os. Descendre les étages, cramponnée à la rampe et à chaque avancée, le vertige d'une marche obscure ainsi que la trouille de se ramasser. Devenir la chute. Se rétablir le palpitant lourd. Chaque pas, une distance qui rétrécirait celle qui me sépare de toi. Trop large muraille d'air. Se lever, cheminer, te rencontrer. Entrer dans le pays des humains en me trimballant jusqu'à toi. Viens donc, ma carcasse. Lève-toi donc. T'es même pas en haute montagne. Rappelle-toi quand t'es arrivée au camp de base de l'Everest. Ce crépuscule blême qui t'avait vidé les tripes. Chaque pas plus lourd que le précédent qui pesait déjà sa tonne, le sommet qui n'attendait que moi...


Le gris des pierres... Je voulais voir Chomolunga, le mythique triangle noir aux parois abruptes, l'ascension ultime, contempler en face ce sommet, du même regard ému que je te regarderai... si bouger devenait possible...


Lève-toi et marche. Contracte le mollet, fais craquer les rotules. Reviens mon envie, même pas une grande envie, même une toute petite flamme suffirait. Effondrée, tremblotante… Bravo, j'arrive à tenir debout et le coeur bat la mesure et chaque pas commence un nouveau chemin. (Quelle est encore la distance qui nous sépare ?) Tchabou, le battement intérieur fait résonner mon thorax, sursautements. Le chemin se poursuit. Mon pied suspendu au-dessus du sol fait déferler un silence où vibre un écho, l'envol lointain de 807 mouches. Le pas suivant, une porte s'ouvre, klic. Aspirée dans un espace obscur et suintant, je titube pour de bon. Mon coeur change de rythmique, il me lâche, pour de bon.

jeudi 23 septembre 2010

#196 – Avaricie numérale

Il comptait au matin son immense fortune
Qu’il recomptait le soir aux rayons de la lune,
Et trouvait le bonheur auprès de son argent,
Qu’il tenait à l’écart des bêtes et des gens ;
Brassant à tout propos la trébuchante espèce,
Elle égayait sa vie d’une infinie liesse.


Mais au matin blafard de ce bien triste jour,
Comptant et recompté, l’objet de son amour
Se vit diminué de huit cent sept guinées,
Fruit du rude labeur de tant et tant d’années.


Vivant le jour craintif ne dormant plus la nuit,
On le trouva pendu au nœud coulant d’un huit,
Un tabouret de sept avait roulé à terre,
Repoussé sans doute d’un geste volontaire ;
Et d’une large plaie qu’il avait au côté
S’écoulaient des zéros, libérés sans compter.

mercredi 22 septembre 2010

#195 – L’amour en pelote

Notre histoire aurait-elle pu se tisser autrement ? Si nos mensonges n’avaient pas filé entre nos doigts, nos envies éteintes brutalement, nos espoirs cadenassés à force d’illusions. Si nous n’avions pas été comme des ciseaux, deux lames articulées qui s’éloignent et se rapprochent pour mieux trancher, tailler, débiter, couper.


807 fils tressés, entortillés, noués.


Jusqu’au jour où une vague, cette fois plus puissante que les autres, rompt le dernier fil et ramène sur le sable une pelote compacte. Impossible de la dérouler, trop d’arêtes, de crins et d’os enchevêtrés.

mardi 21 septembre 2010

#194 – Journal de camping (extraits)

8 juillet 2010. Six heures du soir. Les Hollandais d’à côté et les Finlandais d’en face sont en train de manger. Un peu plus loin dans l’allée, les Anglais commencent à boire. Je vais à la douche.


9 juillet 2010. Ai pu constater aujourd’hui qu’il était très difficile de lire quand se déroule autour un tournoi de pétanque. Reprendrai L’Ombilic des limbes à la rentrée.


11 juillet 2010. Propos entendu depuis la cabine de douche : « Moi, cette année, j’y suis allé vachement moins souvent au 807... Je sais pas... Depuis qu’ils ont changé de D.J., c’est plus pareil, quoi !... »

lundi 20 septembre 2010

#193 – Ne tombe pas juste

Les fanatiques de la base 10 désireront à tout prix fêter ce 193e 807 de la saison 2. Pendant ce temps, les autres, masse écrasante, les amoureux de la base 807, cherchent patiemment le meilleur moyen de représenter les valeurs 11 à 806 par chacune leur symbole.


Quant aux ordinateurs voici tout ce qu'ils verront aujourd'hui : 11 0010 0000. Ils fêteront bientôt, dans 1 1000 numéros, le 100 0000 0000, ça les regarde.


Car il faut savoir que les 807, dans leur abnégation et leur ascèse, ne s'aviliront jamais à écrire un millième numéro, et non, ce que vous lisez n'est pas ce que vous croyez.

dimanche 19 septembre 2010

#192 – Extraction

D'abord il y a l'odeur, une odeur douceâtre qui la prend à la gorge et lui donne la nausée. Puis le bruit. Crissement aigu strident et persistant qui ne cesse que pour mieux repartir, remontant directement des tympans au cerveau, générateur de migraine. Ses jambes sont prises du tremblement incoercible de celle qui les prendrait bien à son cou mais qui reste assise là, triturant entre ses mains moites un journal froissé dont elle relit le même article pour la 807e fois.


La porte s'ouvre. Il entre et en appelle un autre. Ce ne sera pas pour tout de suite. Combien de sursis ? Un quart d'heure ? Plus, moins ? Se fier au bruit qui recommence à lui vriller les oreilles. Le bruit cesse. Elle aperçoit par la fenêtre l'autre qui sort presque en courant, la mine pâle et défaite. Fait appel à toute sa volonté pour ne pas le suivre dans sa fuite éperdue.


La porte s'ouvre à nouveau, le dentiste s'excuse pour le retard et l'invite à le suivre.

samedi 18 septembre 2010

#191 – Soupçons

Ils contrôlaient leur moindre geste, leur moindre parole pour ne pas se trahir, mais ceci ne pouvait durer.


Je discernai dans les regards que François-Xavier adressait à ma femme, le 807e indice d’une admiration qui n’était pas de mon goût. Et comme je les soupçonnais de partager un secret, je cherchai et trouvai dès le début du dîner un moyen qui les empêcherait de se concerter.


Les marques de sympathie de ce type à mon égard sont feintes. Je le sens au plus profond de moi.

vendredi 17 septembre 2010

#190 – Compter

Compter jusqu'à 807, j'y arrive si je veux : brins d'herbe, gros célibataires, petites culottes sur les fils à linge...


Compter le temps qui passe : toute trotteuse m'en décourage...


Compter sur mes amis : c'est un pari à la Pascal...

jeudi 16 septembre 2010

#189 – Chevillardises

Il m'en a fallu des efforts, culinaires d'abord (bière, soda, frites, sucreries, etc.), relationnels ensuite (divorce) pour devenir un personnage de fiction, mais c'est un succès total : le gros célibataire, c'est moi !


Éric Chevillard publie ses romans chez Minuit et ses triptyques autofictifs vers minuit. En va-t-il de même pour sa progéniture ? Sont-elles nées à l'heure où meurt la veille et naît aujourd'hui – ou meurt aujourd'hui et naît demain, c'est selon ? Je l'imagine sans peine demander à sa compagne de ralentir ou d'accélérer le travail d'accouchement dans un souci de cohérence, tout à son honneur. Et les indélicats avortons (mâles ou femelles) nés à 8h07 de refroidir dans le congélateur.


La littérature française est en deuil. Le 12 septembre 2010, alors qu'il se promenait en famille dans les rues de la capitale, l'écrivain Éric Chevillard fut terrassé par une attaque en voyant passer devant lui des milliers (22 006 exactement) de joggueuses en caleçon plus ou moins court. Il venait de croiser le parcours de la Parisienne. Comme il l'annonça le lendemain de sa mort sur son blog, L'Autofictif continue d'égrener chaque jour ses triptyques.

mercredi 15 septembre 2010

#188 – Tristrophie numérale

Ôtons-nous le doute, ô huit-cent-sept,
Et dévêtu montez sur la table ;
Souffrez cette auscultation chiffrable :
Respirez lentement, dites « sept » !


– Puissant et gras de vos huit centaines,
Fessu têtu et fort en bedaine,
Chiffre débonnaire s’il en est,
Ô huit, j’aime votre air satisfait !
Face au zéro, gardons le silence,
Voyez-vous, ce pauvre est tout en panse,
Souffre de sa modeste valeur,
Et jalouse du neuf la hauteur.
Quant au sept si je devais m’asseoir,
C’est bien sur lui que j’aimerais choir,
Et je frémis de poser sur d’autres
Ma fesse craintive à peau d'épeautre.


Or donc tout ici est bien pesé,
Et vous, huit cent sept, en nombre aisé,
Quoi qu’en arithmétique on y fasse,
Jouissez d’une santé coriace !

mardi 14 septembre 2010

#187 – L’art est aisé, la critique difficile

Plus de 807 écrivains emploient sciemment un style âpre afin que les phrases se heurtent. Cela oblige le lecteur à respecter la moindre syllabe. Sinon, l’étoffe craque. Mais la critique aujourd’hui n’a souvent plus oreille, toucher, goût de l'effort. Seule l’occupation d’un territoire braillard file ses ourlets pour enfler ses effets de manche, sous quelques marronniers.


Le critique lit. Celui qui se dit critique cherche le livre qu'il voudrait lire.
Le critique cherche la porte d'entrée pour pénétrer la maison. S'il ne la trouve pas, il va voir ailleurs.
Celui qui se dit critique passe par la fenêtre comme un voyou et trouve la porte décidément mal foutue. Il ne se prive pas de le dire, trop souvent à mon goût.


Le lecteur qui voudrait être écrivain a pondu un morceau de bravoure fort lâche, d’où s’échappe une méconnaissance du monde que l’artiste habite. Au final, le procès d’une fable qui ne le concerne pas. L'écrivain ferme tranquillement ses volets, remonte voluptueusement les draps dans lesquels il se glisse. Jouissance silencieuse, sommeil de Juste. Toujours avoir le bon regard pour rester sourd.

lundi 13 septembre 2010

#186 – Géographie amoureuse

Du haut de mon lit, je vois des traînées de couleurs ensanglanter le ciel.


Je rêvasse... glisse doucement dans une torpeur bienfaisante, emprunte les canalisations de ma mémoire.


À Lyon je flâne sur les quais du Rhône
À Buenos Aires je te rejoins dans le train à grande vitesse
Nous marchons dans les rues de Bamako
Je te perds dans la foule de Mexico
Tu me retrouves à Valparaiso
Je te surprends à Bilbao
Je t’aime à Toronto
J’ai le vague à l’âme à Panama
Tu ne me dis rien à Trafalgar
Nos regards se suspendent à Chandigarh
Ton angoisse m’étreint à Nouméa
Je trébuche à Calcutta
Je cueille 807 colchiques au lac Baïkal
À la station Goncourt l’été s’éteint

dimanche 12 septembre 2010

#185 – Féérie en mode dondon

À l'orée d'une merveilleuse forêt, non loin d'un palais idoine, vivent 8 fées dans la grâce et les hormones. 8, comme le nombre infini verticalisé. Les 8 fées dondons ouïrent dire qu'une princesse venait d'être mise bas. Et si nous allions à son baptême ? s'exclame Etaina ? Quelle belle idée, rebondit Carabosse malgré ses rhumatismes. Or, ce matin là, Or est infortunément en proie à une crise de magie, trop de température : Je préfère rester. Gracieusement, les autres lui claquent la bise et s'envolent en se dandinant vers l'Est.


Le commentateur officiel : La plus jeune des fées a un cerveau d'invertébré. C'est Fery, qui offre actuellement à la princesse le don de la plus belle apparence du monde. Celle d'après, celle qui sait judicieusement quand il faut adopter la posture « queue-entre-les-jambes » en signe de soumission, Cuivra enchante la princesse du don l'esprit. La troisième, Plombie, lui fait cadeau d'avoir de la grâce, et après se précipite au bar, me dit-on, pour commander un double expresso. La quatrième, celle qui règle tous les matins sa montre, Etaina déclame : Tu danseras à la perfection. Mercura, qui a la capacité de voir les objets en multidimension, libérés de l'espace-temps euclidien, et qui lance sur orbite des stations orbitales, Mercura gratifie la princesse du don de chanter comme un rossignol. Argentée lui donne le sort de jouer virtuosement de tous les instruments. Chacune prend place à la royale table ; on a mis devant chacune d’elles un couvert dans un étui d’or massif (dont un couteau garni de diamants et de rubis). Magnifique ! Et voilà qu’entre Carabosse, incroyable, c'est bien Carabosse que roi, reine et peuple croyaient morte ou enchantée ! Stupéfaction, visages cramoisis ! Incident diplomatique : on n’attendait plus Carabosse. Le roi lui fait donner un couvert sans étui massif. La vieille croit qu’on la méprise, grommelle des menaces entre les dents qui lui restent ! À vous Cognacq-Jay.


À quelques lieux à l'Ouest, Or frissonne fort sous sa couette. Quel augure maléfique. Ce n'est pas la fièvre, elle le sait. À cet instant, être huit sans sept et c'est l'ordre du monde qui s'altère. Quant à l’histoire de la princesse, elle ne fait que commencer, avec d’autres trucs à coucher dehors et aussi un rouet...

samedi 11 septembre 2010

#184 – Colloque Paul Valéry

Nulle part Paul Valéry ne nous dit combien de fois la marquise sortit à 5 heures.


Quant à l’heure de son retour, personne ne semble en mesure de l’indiquer, même de manière approximative.


Un cliché retrouvé récemment dans les archives de l’auteur permet en revanche d’affirmer avec certitude qu’elle habitait au 807.

vendredi 10 septembre 2010

#183 – Malédiction familiale (3/3) : Élise V

Les enfants d’Élise ont eu des enfants, qui ont eu des enfants, qui etc. etc. Élise a fini par oublier Alphonse. Puis par laisser la place. Mais tous les enfants de toutes les générations étaient là, à courir sur le gazon et à se chamailler, gourmands, vindicatifs et stupides, désobéissants et cons. Mais vivants. Il y en avait partout. Pourtant, on leur avait bien dit : Attention au croquemitaine. Il va vous manger. Restez près de moi, ne vous éloignez pas ! Et des hommes sont venus. Des grands. Avec des mains énormes. Il faisait beau et doux soleil. C’était la saison de la pêche. Ils ont dit : Oh, la belle ! Oh, la belle, en les voyant à dormir sur la berge. C’était mieux que des poissons. Et ils en ont emporté une, puis une autre, puis... Que des mères, qui devaient enfanter. Car l’homme est ainsi fait qu’il emporte ce qui lui fait désir. Et puis, il y a eu les chiens du voisinage, qu’ont fait le reste. Elles étaient si faciles à cueillir, ainsi couchées sur la berge. Et, les femmes, depuis toujours, ça meurt en couche, tout le monde sait ça.


Alors, n’est plus resté que des mecs. Et Élise. Élise V ou VI. Personne ne sait plus trop, depuis le temps. Et on s’en fout. De jolis yeux d’égyptienne, un cul provoquant. À toujours frétiller. Elle plaît. Pourtant, Élise aimerait tellement qu’on lui foute la paix ! Des mômes, elle en a déjà bien assez faits, pour la communauté. Y avait qu’à pas les laisser dévorer. Les pères, ils auraient pu surveiller, mais toujours qu’à se pavaner. Et le monde est si plein de dangers. C’est pas elle seule qui va pouvoir la repeupler, la planète ! Elle seule, si tranquille à se balader entre les herbes indifférentes. À jouir du bon soleil de fin d’hiver et tout ce qu’elle aime. Et soudain, ça recommence ! Les voilà ! Tous sur elle. En réunion. Tous. Et la pitié, c’est quoi ? À moi, à moi, je la veux ! Un viol immonde. À moi, c’est moi le plus fort ! Prends donc, sale con, tu l’auras pas ! Et coup sur coup, entre eux, à se chamailler et à tous se la rendre, la méchanceté. De vrais durs. Arrogants. Tous pareils. À y laisser des plumes. Mais entêtés. Que des rustiques. Et qui c’est qui trinque ? L’enfant, de la berge, regarde. Élise appelle, Élise crie. L’enfant ne peut rien pour elle. Il voudrait bien, mais il est trop loin, et la barque a coulé. C’est pas une vie, qu’elle se dit Élise, d’être la seule femme ici. Non, pas une vie. Et elle appelle, et elle appelle… Pourquoi qu’on lui fiche pas la paix ? L’étang serait paisible, pourtant, s’il n’y avait pas tous ces salauds. L’enfant se dit : Cette fois, c’est pas de ma faute. Et ça le rassure, un peu. Mais s’il y a besoin, tout de même, il l’emmènera sur l’île, il ira à la nage.


Mais Élise n’est pas morte encore. Elle se débat et lutte, vaillante comme son arrière arrière-arrière-arrière-grand-mère, la première du nom, et ils ne l’auront pas. Au secours ! Au secours ! Elle appelle. 807 fois, elle appelle : coin-coin, coin-coin, coin-coin... 807 coin-coin. Et tous les voisins en ont plein les oreilles. Feraient mieux de les manger tous, qu’ils se répètent entre eux, en hochant la tête. 807 fois au moins ils ont dû la hocher. Les canards c’est si bon à manger.

jeudi 9 septembre 2010

#182 – Vertige

Cela faisait des heures qu'elle était plantée là, au bord de cette falaise, à compter les vagues qui s'écrasaient en contrebas.


Elle avait le vertige, le vrai, celui qui vous prend aux tripes, qui vous paralyse de terreur tout en vous attirant inexorablement vers le vide.


À la 807e vague, elle sauta.

mercredi 8 septembre 2010

#181 – Bûcher vivant

Je suis morte dans une prison iraquienne. Mes geôliers m’ont forcée à me mettre à quatre pattes. Puis ils m’ont violée, les uns après les autres, presque méthodiquement. Je criais de douleur, et eux hurlaient traînée, sale chienne, tu as ce que tu mérites. Je ne sais plus combien ils étaient, mais cela me paraissait interminable, alors, pour m’isoler, j’ai commencé à compter les secondes.


Ils sont tous passés mais n’en avaient pas fini avec moi. Ils se sont mis à me frapper avec une barre en fer. Je me suis recroquevillée pour me protéger, le sang coulait sur mon corps, douleur insupportable, je continuais à compter, et ils continuaient à frapper, alternant barre et coups de pied. Mon arcade sourcilière a explosé, je ne voyais plus rien.


Le son d’une porte qui claque puis un liquide chaud. Je pensais qu’ils s’étaient mis à uriner sur moi. L’odeur étouffante de l’essence suivie d’un claquement sec a précédé la douleur atroce et démoniaque. J’étais en train de cramer vivante, j’en étais à ma 807e seconde !

mardi 7 septembre 2010

#180 – Obsession

Nous autres auteurs bénévoles des 807 restons à part des auteurs rémunérés. Nous changeons de trottoir si l'un d'eux approche, nous déménageons si l'un d'eux s'installe dans notre ville, nous allons en librairie le lendemain de sa signature. Nous ne cherchons pas à tout prix à les voir dans leur quartier pour leur parler de nos piètres fonds de tiroirs, ni pour les voir compter les brins d'herbes de leur pelouse. Autre chose qui nous sépare définitivement d'eux, c'est que nous tenons à acheter nous-mêmes un exemplaire de notre propre livre que, par ailleurs, la bibliothèque nationale ignore complètement.


Alors comme ça, tu pensais échapper à la bérézina papier ? « Nous avons respecté le choix d'un auteur de ne pas figurer dans le livre. » Tu as certes réussi, mais ton nom sera cité : Laurence !


Au guichet, on lui demande son nom, il répond « Éric Chevillard ». Sous la casquette, regard interrogateur. « La carte d'identité n'indique pas cela Monsieur... » Il rectifie, l'autre sourit, puis rit franchement : « Ah... ces 807, ah ! ah ! »

lundi 6 septembre 2010

#179 – Malédiction familiale (2/3) : Alphonse II

Il y a eu Alphonse II. On lui a donné une femme, Élise. Une jolie petite, et vaillante. On l’avait nommée ainsi à cause de sa voix et de la lettre si bien connue qui porte son nom. Élise a fait bien vite tout plein de tout petits minots, filles et garçons. Tous solides et tous beaux. On les voyait courir sur le gazon et patauger dans l’eau, hardi petit, à faire tout plein de saletés. Un plaisir, de les voir. La vie partout.


Mais un jour, allez savoir pourquoi, l’enfant a voulu rire un peu. S’amuser. « Alphonse, Alphonse », il a appelé. C’est qu’il l’aimait son Alphonse II, tout comme il avait aimé l’autre, le premier. Alphonse à la voix de l’enfant, a tourné la tête. Ce n’était pourtant qu’une carabine de gosse, absolument sans danger, surtout sur un corps où tout glisse, tout le monde sait ça. Mais Alphonse a baissé la tête à ce moment-là. Et toc ! En plein dedans ! Tout près de l’œil. Et Plop ! Alphonse est tombé d’un coup, sur le côté. L’enfant l’a mis dans la barque et jusqu’à l’île l’a mené, blanc, de douleur et de rage. Derrière lui, Élise suivait à la nage. Et elle pleurait. De toute la force de son corps, elle pleurait. Elle avait donné des coups à Alphonse, des petits coups d’amour, partout sur son corps : Réveille-toi, Alphonse, réveille-toi, j’ai besoin de toi, Alphonse, je t’aime, Alphonse. Car elle l’aimait. Mais rien.


Élise est restée longtemps, dressée sur la tombe, à gueuler son deuil vers le ciel. Le cou tendu vers les étoiles : 807 étoiles, et la lune aussi seule qu’elle, là-haut. Un jour et une nuit, au moins, à crier sa peine. Et ça vous broyait les entrailles, de l’entendre. L’enfant n’a entendu que ça, de son lit. Et il se rappelait la corde d’Alphonse le 1er. Et le coup de carabine, pour rire. Et l’enfant avait mal, et l’enfant avait honte. Tout ça, c’est sa faute.

dimanche 5 septembre 2010

#178 – Tronche de bitume

Regard tourné en dedans, il rit aux passants qui esquivent son matelas barrant le trottoir. Tchin ! Lève sa boîte de conserve pour trinquer à leur santé, bras en étendard, oeil hagard. Une vie qui rouille dans la rue, déborde des sacs empilés par terre : des chiffons noués aux grilles de la résidence, une poupée, les restes d’un repas, des couvertures en pagaille, une radio pour les nouvelles. Un fatras d’objets. Quatre mètres carrés pour écouler toute sa déveine, à ciel ouvert en plein Paris. Le cul entre deux voitures où il s’accroupit, le pantalon aux chevilles laisse apparaître des jambes maigres, des bâtons. Il grogne en m’apercevant, maugrée des mots inaudibles. Se relève, retrouve son matelas et rempile pour quelques heures de sommeil.


Tous les jours, le même trajet : sortie métro Pasteur, puis rue Dutot sur huit cents mètres. À mi-chemin, matin et soir, je croise cet homme au bord de la résidence : sourire aux lèvres, un ange de bitume.


Au 807e matin, la clé sous le matelas. Une tâche d’eau béante sur le trottoir et les chiffons dans le caniveau. Des camions déchargent du sable, les grilles sont démantelées, les ouvriers montent un échafaudage. La résidence se refait une beauté.

samedi 4 septembre 2010

#177 – Est-ce que c'est du vécu ton texte ?

– Pour la peine, écrivons un 807.
Autour de la table, les gens écrivent. L'animatrice rousse demande :
– Qui veut lire ?
Vincent lit son premier jet, puis les autres, on arrive à Miette, elle regarde sa feuille longtemps et ouvre la bouche :
– Bon ben, ça y est... j'suis la dernière, faut absolument que je lise ?


– Comme tu veux. Si tu le sens. On est là pour t'écouter.


– Bon ben... je vais essayer, je ne suis pas sûre que ça compte, euh je vais lire, enfin un début... mais c'est pas une histoire vraie, je voudrais bien un jour faire l'histoire de mon enfance, essayer un bout, si j'peux... C'est ça, une autobiographie, non ? Mais je ne m'en sens pas coupable, capable désolée, j'espère un jour y arriver, il n'est pas fini mon texte, suis pas très contente de ce que j'ai écris là... c'est pas que c'est un mauvais souvenir, mais vous, vous écrivez tous tellement bien. Comme ça, ça coule, vous réfléchissez tellement pas. Alors moi, que ça me prend la tête. Dans ce truc, enfin je vous demande d'être indulgents, c'est une première ébauche… je ne sais pas comment vous faites pour écrire du premier coup… je vais lire, euh enfin, je vais essayer... mais y aura des trous.

vendredi 3 septembre 2010

#176 – Odieuse Odyssée

Certes, Ulysse est un valeureux héros. Il ne s’agit pas ici d’en douter. Seulement se demander ce qui se serait passé, à son retour, s’il avait eu à combattre non pas 106 prétendants mais 807 ?


On en fait des tonnes au sujet de son chien le reconnaissant après tant d’années et lui faisant fête... Mais le cabot ne s’était-il pas la veille au soir repu des os que lui jetaient les prétendants ?


À vérifier : Télémaque serait à l’origine du Minitel rose.

jeudi 2 septembre 2010

#175 – Malédiction familiale (1/3) : Alphonse

On l’a retrouvé cravaté. Meurtre ou suicide ? Un beau mec, dommage. Son cou amaigri par la torsion gisait dans les herbes. Étranglé ou noyé ? Sale vie qu’une vie qui s’achève de la sorte. Autour de son cadavre, les algues, inconscientes, dansaient. Le monde est indifférent à la misère des êtres.


On a enterré Alphonse sur l’île, au cœur de l’étang, là où il aimait tant à vaquer.


La mère a dit : Je t’avais bien dit. Le père a dit : C’était pas très malin aussi, de lui mettre une corde au cou. L’enfant, qui se savait coupable, a dit : je croyais... Je ne savais pas... J’ai pensé... Mais Alphonse est mort. Et l’enfant, qui l’aimait beaucoup, pleure. 807 larmes de remords sur son visage.

mercredi 1 septembre 2010

#174 – Le loto

J'ai beau tenter de frapper à l'huis sans sept, puisque le chiffre « 7 » s'est décollé de sa porte, personne ne répond. Je sais que se terre ici, en son antre sombre, seul dans sa folie, Louis Sunset, ce vieux flic de la Nouvelle Orléans, atteint d'une crise de paranoïa aiguë, provoquée par un certain Ali Mag qui l'a poussé à extraire de sa vie les récits les plus sanglants vécus dans le Bayou. Je frappe à sa porte, inquiète déjà. Il n'est pas venu depuis dix jours, partager son whisky avec moi, comme il le fait chaque fois qu'il a le blues, c'est-à-dire un soir sur deux. Il ne répond pas. Où est-il donc ? Je descends les trois marches de son sous-sol qui me nargue avec un soupirail à demi fermé par les toiles d'araignée.


Je pousse la porte branlante, je finis par pénétrer dans un capharnaüm digne d'une vente aux enchères ou s'entassent les souvenirs de toute une vie : machine à tisser, raton-laveur empaillé, vélo cabossé, passoire sans trou, ressorts, ferrailles, vieux livres décollés, poupée écartelée, soc de charrue rouillé, jambe mécanique datant de la guerre de 14, mais au fait... voilà un indice : 14 c'est deux fois sept, non ? En farfouillant dans l'amoncellement surréaliste avec cet objet long et rose, comme si c'était une baguette magique géante, je tombe sur la boîte éventrée d'un jeu de loto aux cartes écornées que l'humidité fait pâlir. Il y a bien un huit, un vingt-huit et un trente-huit mais il n'y a pas de sept, de dix-sept, ni de vingt-sept. Cette suite de huit sans sept me fait penser à une vie interrompue par un malheur inéducable, comme une table des dix commandements où ces deux chiffres auraient été désagrégés par la foudre du malheur. Je sais déjà ce que je vais trouver dans la pénombre...


Louis s'est pendu. Il se balance au dessus de tout cet attirail sordide, comme un point d'exclamation sinistre à ce sinistre inventaire à la Prévert. Il est pieds-nus, derrière son huis, sans sept et sans chaussette, pour l'éternité.