samedi 31 mars 2012

Gestomètre deux

Prendre un flacon violet, le débouchonner, en verser un peu sur le bout de l'index. Poser le doigt et sa touche de parfum boisé sous les oreilles, refermer le flacon. Prendre un autre flacon avec pulvérisateur, appuyer sur le bouton, pulvériser largement de ce parfum iodé sur le pull et se retrouver sur une plage déserte où s'enfoncent mes pieds froids à lutter contre le vent, qui me fait cligner les yeux au moment où le soleil s'efface derrière l'horizon liquide.


Reposer le flacon, mettre son manteau, attraper son écharpe et sortir de l'appartement. Aller à son travail à 8h07.

vendredi 30 mars 2012

Devinette

Ce qu’il faut pour garder la santé, c’est l’optimisme et varier les menus. Un jour aux Restos du Cœur, place de la République, le lendemain boulevard de Ménilmontant, près du cimetière du Père-Lachaise. Là-bas, c’est un peu bruyant, les gens s’impatientent mais le camion de la mairie arrive toujours à 19h30. Je suis caissière dans un hyper de banlieue. Je passe 22 stations de métro pour venir. Quand mes horaires de travail me le permettent, j’essaie d’être parmi les premiers à attendre. C’est qu’on est près de 600. La patience est une qualité de pauvres que j’ai reniée. Plus de chéquier, plus de carte bleue, mes fins de mois commencent le 10. Ils servent de la soupe à volonté. C'est chaud, c'est bon. Que demander de plus. J’ai un petit appétit. Pourtant je me fatigue au boulot. Je bosse à toute heure du jour et de la nuit, été comme hiver. Ça change tout le temps. Le travail flexible, ça vous rigidifie le dos, je vous le dis. La direction de l’hyper vient de m’augmenter. Un euro de l’heure en plus. Ça ne m’arrange pas. Je n’ai plus le droit à la CMU. Je dépasse le seuil de pauvreté, qu’ils disent.


Devinez combien je gagne, par mois.

jeudi 29 mars 2012

Le volet

Il pleut. Les feuilles gorgées d'eau se détachent une à une, constellant le sol et le toit de tâches brunâtres et déjà pourrissantes. La maison vacille sous les premières attaques du vent glacial du petit matin. Les nuages lourds et chargés de menaces s'amoncellent en masses informes et boursouflées. Un volet claque. Celui de la chambre rose, celle où dort Clémentine. Rideaux poudrés épais tirés sur de lourds secrets. Papier peint parsemé de roses aux teintes fanées dont elle compta longtemps les 807 boutons pour apaiser ses nuits sans sommeil. Lit imposant et haut, recouvert d'une courtepointe aux tons assortis à ceux des murs. Table de chevet sur laquelle repose une carafe d'eau restée intacte. Grande armoire sombre jetant une ombre vaguement menaçante sur le lit. Chandelle et âtre éteints. Au milieu du grand lit, Clémentine n'entend rien. Ni le volet qui claque, ni la tempête qui gronde. Ses mains pâles reposent sans un tremblement de part et d'autre de son corps immobile. Son visage aux yeux clos, posé au creux du gros oreiller de plume ne tressaille pas. Ses lèvres serrées et son nez pincé dessinent à peine une expression vaguement contrariée.


Tout à l'heure on l'appellera et elle ne répondra pas. Après-demain on mettra son cercueil en terre sous le soleil revenu. Le volet continuera à claquer aux murs de la chambre rose. Ainsi va la vie.

mercredi 28 mars 2012

Gestomètre un

Reposer la serviette éponge. Mettre une goutte de sérum sur chaque joue. Ajouter une noisette de crème. Étaler la crème en geste circulaire. Poser une touche de fond de teint. Masser. Souligner les yeux de deux traits d'anticernes. Tapoter un gros pinceau dans de la poudre libre légèrement rosée...


En balayant le pinceau sur mon visage blanc, je viens d'inhaler 807 grammes de poudre de riz au parfum vaguement sucré. En même temps je réalise que je ne reconnais pas le visage pimpant qui se reflète dans la glace. Où donc mes cernes se sont-ils enfuis ? Suis-je encore la même sans leurs nuances violacées tachetées de verdâtre ? Il paraît même qu'on peut s'en faire opérer. Choisir un des trois rouges à lèvres, le plus marron. Dessiner les lèvres avec. Ajouter un chouïa de poudre dessus. Passer une dernière couche de rouge automnal. Éteindre la lumière. Tourner les talons...

mardi 27 mars 2012

Carton

― Que faisiez-vous le 4 novembre vers 19h45 ?
― Ça dépend, c'était quel jour ?
― Un jeudi. Répondez, que faisiez-vous ?
― Je ne sais pas, ça remonte à loin. J'étais sûrement chez moi en train de préparer le dîner.
― Je vous conseille de vous en souvenir, nous enquêtons sur un viol.
― ...
― La mémoire vous revient-elle ?
― Bah, non, c'est loin.
― Vous êtes bien « taulier » des 807, n'est-ce pas ?
― Oui, mais je ne vois pas le rapport.
― Ah mais, la mémoire vous revient !
― Comment ça ?
― Vous parlez de rapport... Celui-ci n'était pas consenti.
― Mais...
― Alors, cher « taulier », comment recrutez-vous les participantes à votre « club 807 » ?
― Euh, je ne recrute pas, elles viennent d'elles-mêmes.
― Vantard. Et ce n'est pas ce qu'a déclaré la victime...
― De qui parlez-vous à la fin ?!
― Elle nous dit que vous l'avez forcée.
― C'est faux !
― Avez-vous entendu parler du violeur des cabines d'essayage ?
― Vaguement, à la radio. Où voulez-vous en venir ?
― ...
― Quoi ?
― ...
― Mais je n'ai rien à voir avec ce malade ! Je tiens un blog, pas un bordel !
― Changez de ton, monsieur Garot. Et méfiez-vous : nous avons une preuve matérielle, trouvée sur les lieux. Elle porte votre signature.



Image Ysiad

lundi 26 mars 2012

Drogueries

Sur un divan drapé de vieux kalamkaris,
À l’heure des souris courant sur les tapis,
Tout couverts de poussière à force d’incurie,
Où ma belle indolente est ce soir endormie,
Les fumées de l’encens troublent les murs jaunis,
Et l’Arachné fait un voile à ses doux yeux gris.


Avec 807 dans la maison,
Tout est net et sent très bon !

dimanche 25 mars 2012

Fatalité

Le matin du quatrième jour, c’est sans politesse aucune que j’annonçai à l’ex-artiste que je prenais congé. Il cracha par terre. J'allumai sa cafetière entartrée et marronnasse, qui avait dû servir 807 fois depuis son dernier lavage, dans l'espoir d'obtenir un café aussi fort que possible, et lui demandai s'il voulait comme moi une bonne tasse qui réveille. Il cracha à nouveau. Je claquai la porte et posai ma valise au milieu de la route principale, afin que le car quotidien ne me ratât pas : il n’était pas question de rester ici une seconde de trop, qui se transformerait, dans la poussière du car passé sans s’arrêter, en un jour de trop. En revenant pour avaler mon café et récupérer mon magnéto (lancé par habitude), je vis Robert A. Bourrik étendu sur le sol, inconscient. Bof. Je pris mon matériel, descendis le jus infect en grimaçant et sortis de l’épicerie, sans doute pour toujours.


samedi 24 mars 2012

Pèlerinage

Nous démarrâmes cent ; mais par un grand effort
Nous parvînmes presque mille à quitter le pin
807 nous gagnâmes sûrement le sol


vendredi 23 mars 2012

La vie en rouge

Elle regarde l'éclat rouge figé sur le bout de l'ongle. Une petite tache d’émail flottant sur la kératine bombée, rognée par les jours qui s’en sont allés. Combien depuis la dernière fois ? ça se mesure aux millimètres coupés chaque semaine, aux demi-lunes tombées en couvrant le sol d'épluchures vermillon. Combien depuis LA dernière fois ? Il n'y a que le gros orteil pour s'en souvenir encore, les autres doigts du pied sont revenus à leur transparence naturelle. Il faut environ douze à dix-huit mois pour renouveler l'ongle entier du gros orteil... C'était il y a... six... huit mois ?
Dix orteils fraîchement peints frétillaient, écarlates, entre ses mains.


Elle espère ne pas avoir à attendre 807 jours.

jeudi 22 mars 2012

iris

ne pas écouter les paroles de ils disait vladje. les entendre et vouloir qu'elles ne nous aient jamais frappés / ils vont venir les personnes à têtes de cochons. ils vont avoir des voix qui vont voler dans l'air et violencer la beauté du monde la lumière des persiennes et les brillants d'oreille. déjà ils sont entrés souvent dans les maisons bruissant de leur bêtise à oreilles de caoutchouc. d'autres jours c'était dans des jardins qu'allaient entrer ils. étaient souvent annoncés et le temps où l'on savait qu'allaient venir ils était comme film étirable inquiétable et triste. ils toujours arrivaient par finissaient. et dans les allées vertes ou à côté d'un bosquet fleuri les yeux de ils prenaient ce qu'il n'était pas supportable de leur donner. c'était lutte étrange et mal confortable de résister et quelquefois de leur reprendre ce qu'avaient pris ils au moment où leurs yeux s'alanguissaient. ah si on avait eu chien andalou et rasoir peut-être aurait-on coupé les iris disait vladje


la veille il y avait eu des poupées. une portait un vêtement à petit capuchon et une excroissance en caoutchouc en sortait sur le haut du crâne. on posait sa main dessus on serrait un peu entre pouce et index et on tournait pour faire apparaître à son gré deux autres visages un en souffrance un en gaieté le troisième était de sommeil. une était en celluloïd et était appelée françoise par le peuple des enfants. une était très petite et habillée avec une longue jupe à volants blanche à pois noirs on la désignait en disant qu'elle était espagnole son habitat était une vitrine. une était sans habits et personne ne disait qu'elle était nue. une fut un jour nommée baigneur sans que l'on vit la moindre goutte d'eau mais on entendit claquer. une était dite poupon. et il y en avait et en avait encore. le peuple des poupées avait enflé tant que le peuple des enfants n'avait plus guère d'espace personnel et le peuple des adultes souvent les confondait. personne ne s'étonna lorsqu'un enfant, solennel et aspirant à un peu de solitude, déclara, puisqu'il connaissait à la fois le désir irrépressible des adultes à fournir ces choses, et la chanson, qu'il fallait arrêter de les pourvoir en poupées de tout genre avant d'atteindre ce nombre référent de 807

mercredi 21 mars 2012

Fatal bocal

Tu t'en souviens, toi, des cabines téléphoniques ? On entrait dans la cage de verre avec une piéce de 50 centimes, un franc, cinq francs les jours fastes, parfois même un petit pécule pour le coup de fil du siècle. On tremblait. Et si ça ne marchait pas ? Il y a avait toujours un gars, une fille, dehors, à te regarder d'un air impatient, prêt à cogner sur la cloison si tu ne raccrochais pas assez vite. En été ça cuisait on coulait dégoulinait. En hiver ça caillait. Et coup fatal final la voix désincarnée qui disait « Le numéro que vous avez demandé n'est plus attribué... »


mardi 20 mars 2012

Délices

Ça commence malgré elle, comme chaque fois qu’elle est passée directement de l’ingestion à l’empiffrage, par un haut-le-cœur. Ça recommence malgré elle, malgré sa volonté, malgré son désir. Coulée dans le creux du plexus. Ça s’accompagne généralement d’une pression dans le crâne, un envahissement de pulsations sourdes sur les temps et la langue pâteuse qui blanchit, devient épaisse et baigne dans une salive boueuse. Dégoût soudain des gâteaux à la crème, des religieuses et du chocolat. Un hoquet chargé remonte du nombril, annonciateur d’une bouillie acide et puissante qui grimpe à toute blinde le long du boyau principal. Du prédigéré en lave qui débouche brutalement dans la gorge et remplit le palais, elle sent sa puanteur. Beurk. La bouillie chaude s’infiltre entre les molaires, la bouche un égout. Avec un peu de chance, elle arrive jusqu’au lavabo sinon, c’est entre ses ballerines qu’après avoir passé le barrage des incisives, s’éjecte le vomi. Bravant les forces légitimes de la pesanteur, ce qui descendait lentement est remonté rapidement. Il est rendu, le goûter. Quelques inspirations profondes, ça y est, soulagée elle essuie son front brûlant, quelques convulsions s’éteignent dans son bide comme s’éteignent 807 vagues avant la marée descendante… Se sent légère, prête à manger. À nouveau...


lundi 19 mars 2012

Jubilé

Il ne compte plus les tournées, les concerts, les interviews, les heures de studio, les réveils auprès de filles qui ont l'âge de la sienne, les litres d'alcool et les kilos de drogue. Ce soir sera la dernière, il l'a promis à sa femme. Il raccroche.


Le vieux rocker quitte la scène. La standing ovation continuera bien après qu'il aura laissé sa telecaster au roadie, rejoint sa loge, pris sa douche et se sera éclipsé vers une limousine. Il aura ignoré son manager, son touneur, même ses amis venus le saluer. Dans la voiture qui le portera jusqu'à son hôtel, il se dira que ce concert d'adieu était bien meilleur que les 807 précédents.

dimanche 18 mars 2012

L'infini

Devant cette nouvelle créature empaillée qui couronnait la bibliothèque tournante, la mère Rolet ne fit pas davantage montre de curiosité qu’une fille de ferme découvrant un œuf au poulailler. Pécuchet, qui travaillait sur son encyclopédie et l’observait d’un œil, en reçut un petit étonnement aigu d’épingle négligée par le tailleur. Et il s’en vengea.
― Eh bien, que vous semble de notre curiosité de la nature ? Celle-ci ne vous causera guère de tracas. Seulement vous aurez bien soin de lui mettre huit cent sept coups de plumeau chaque quinzaine.
La mère Rolet ne répondit rien, arrangea son mouchoir de cou, sortit. Et Pécuchet l’entendit grommeler qu’avec une besogne pareille sa fin viendrait bientôt.


Aurai-je le temps de le finir, celui-là ? Pourvu que... Oh, bon saint Antoine, accordez-moi...

samedi 17 mars 2012

Celsius 807

Cornaline n'a pas deux ans et non seulement elle maîtrise déjà le présent de l'indicatif à merveille, la tic-tac de Mémé ell' tou'ne, mais aussi, en cela, une notion de l'éternité, des êtres qui passent et des choses qui restent.


Le gros célibataire quitta le jardin
Non sans y avoir
Saupoudré leur mère.

vendredi 16 mars 2012

Inventaire

À force de me voir tourner en rond, il me dit un jour : Mais enfin, quel rapport entre les fois invoquées mentalement ou murmurées, les feuilles parfois mortes, les jours dont certains sont sans fin et d’autres sont d’un mariage mal assorti, bancal et chaotique, les nuits de désamour et des étreintes de plus en plus sporadiques, les grains de blé, les particules si vibrantes, les souvenirs et des poussières, les nombres, les voiles, les corps agglutinés, les items, les envies simples, les euros à payer, les rangées sur les étagères, les étoiles, les grammes de fraises rondes et charnues, les grenouilles encore invisibles, les têtes d’herbe, les choses accumulées, les numéros reçus, les secondes dans ce rien, les places de parking vides, les facettes pour nous dire à quel point nous avons besoin des autres, les généreuses rasades de Porto, les marrons dans la cour, les autres, les tantes, sœurs, cousines et grands-mères, les places de parking, les jours à contempler la Vaste Pelouse, les disques se référant à Jean-Sébastien Bach, les grains de sable déversés en trois temps, les nymphes aiguës aux jupons introussables, les pétales, les années, les fleurs au décimètre carré, les foies devant les mâles subjugués par ses interminables jambes, les guerriers, les vendeurs, les mails dans l’in-box, les vents qui se barrent, les morceaux d’acier dans son corps, les cellules qui meurent sous mes yeux à mon insu, les coquelicots, les chiffonniers en paix, les illusions que j’avais encouragées, les recommandations appuyées sur le quai de la gare, les maquilleuses plantées dans l’ombre, les mails qui attendent, les amours, les restes, les raisons de prier pour elles, les battements d’ailes entre les murs du salon, les hectares, les infamies et autant de souffrance, les fourmis, les tisons, les verres cassés, les succulents amuse-gueule, les habitants de cette île, les harpons, les lecteurs qu’il mérite, les pin’s, boîtes de camembert, muselets, exemplaires des Inrocks, les pulsations de la veine saillant sur ses tempes argentées, les baigneurs, les brins d’herbe, les redites, les larmes acérées, les épines du buisson ardent, les années sans lumières, les boutons patiemment retirés, les kilos de papier au pilon, les boucles de l’apparition silencieuse, les bêtes sauvages, les images, les accolades, les pages, les raisons de chanter, les propositions en l’air, les papules, taches, macules, simples boutons de mousticus vulgarus, les brindilles qui craquent sous les semelles, les pierres précieuses, les degrés, les bip, les conquêtes, les ornithorynques, les suicides d’acheteurs, les morts, les futilités de conscience, les mètres au large en mer, les éditions d’un poème, les étoiles qu’on ne sait pas nommer, les noms de musaraignes, les pleurs de trop, les pieds d’altitude, les coquilles de moules de Marcel Broodthaers, les graviers, les montres, les gifles, les ruelles qui penchaient vers la mer, les bonbons gélifiés noirs, les pages, les chansons, les fois où il a appelé sa mère, les pensées qui lui venaient, les cailloux que j’avais laissés en main, les défaites à l’odeur aigrelette, les va-et-vient pendulaires de plus en plus hésitants, les livres qui tapissent les murs du réduit, les ciels, les jours à m’entraver, les excellentes questions à poser à Robert A. Bourrik, les incitations à lever la tête, les ko, les briques de LEGO, les questions qui rebondissent sous mon crâne comme les billes d’acier d’un flipper, les mètres qui nous séparent du magasin de chaussures, les claquements de pas qui s’amenuisent, les portes rencontrées sur son chemin, les boules sur le sapin vosgien, les matricules, les mots qui lui étaient chers, les nains et leurs invités, les vers, les choses qui éloigneront de ce lieu participants, lecteur et taulier, les bonnes résolutions faites dans ma vie, les messes, les jours à compter l’enfer, les mots pétales brûlés par le givre, les pleurs, les dents étincelantes dans le four de la gueule, les mouettes qui parfois se posaient en riant, les crises de désespoir, les amants, les respirations avant de passer l’arme à gauche, les canetons, les congressistes, les bottines, les particules de poussière dorée, les nuances de froid et de chaud, les ans pour être moi, les voitures, les inconnues, les pauvres, les mailles, les déferlantes qui déchirent, les raisons de détester la Saint-Valentin, les raisons de voir la vie en rose, les chaînes invisibles qui la reliaient à lui, les individus dans ce nuage, les jours de matin blafard et nuits pas forcément badines, les gigantesques statues réalisées en molaire collée, les critiques, les yeux braqués sur elle, les tours sur elle-même, les ans à venir ?


― Aucun. Pourvu qu’il y en ait 807.

jeudi 15 mars 2012

L'amante

Tant d'heures à l'attendre et à pleurer et à souffrir sans fin, plaisir masochiste, souffrance hédoniste, ne pas faire la part des choses et se liquéfier, flaque incompressible, orgueil bafoué, volonté reniée. N'être qu'une flaque.


Prendre 807 claques et en redemander.

mercredi 14 mars 2012

Avant après

Il s’en était fallu de peu. Mais il était là.
Il attendait. Il était un peu plus de six heures et il faisait beau.
Devant lui, une jeune femme faisait les cent pas. Quelque chose passa au-dessus de la jetée. Il se dit que. Mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase. C’était maintenant, maintenant ou jamais.
Le soleil semblait jouer avec les cheveux de cette femme qu’il ne connaissait pas. Machinalement, il essaya de penser à une idée toute faite. C’était facile. Et il lui dit deux ou trois mots qui se perdirent dans le bruit que fit un grand rectangle noir qui entra soudainement dans le port. Il comprit alors que son effort ne s’imposait plus et il se tourna vers la ville (les vagues pourtant toutes proches disparurent).
Un camion passa rapidement devant lui. Il ne le regarda pas longtemps mais assez pour retenir quelques-uns des chiffres qu’on avait peints minutieusement à l’arrière. C’était un numéro de téléphone qui finissait par 807.
Au même instant, il vit dans la vitre du café où il avait déjeuné la veille, la silhouette de la jeune femme se refléter. Elle agitait ses bras en direction du bateau qui venait d’accoster. C’était bien le grand rectangle noir de tout à l’heure. Il se retourna et tira deux fois dans leur direction. La jeune femme s’écroula. C’était fini. Il regagna la ville en douceur.


mardi 13 mars 2012

Le roman

Elle avait longtemps repoussé le passage à l’acte, le moment de poser ses doigts sur le clavier et de raconter. Pourtant, elle avait déjà le titre : Du beurre sur les crakers. Elle avait le lieu pivot de l’action : la cuisine peu fonctionnelle d’un appartement haussmannien. Elle avait la scène finale : un feu de friteuse qui consumerait l’endroit. Mais ce ne serait ni le roman du siècle, ni celui de l’année, juste un petit roman parmi d’autres où ça parlerait d’amour et de saveurs, de disputes de rôtis brûlés et de réconciliations sur les raviolis en sauce.


Et un jour, allez savoir comment, allez savoir pourquoi, elle commença, tapota, tapota, tapota... Arrivée à la 807e page, elle inscrivit le mot « fin ».

lundi 12 mars 2012

Tic tac

Ce qu'elle aimait, dans les boîtes de Tic-tac, c'était déjà le nom. Tic-tac, tic tac. Elle secouait la boîte en plastique et les pastilles dégringolaient joyeusement. Tic tac. Au début la boîte était pleine alors ça ne marchait pas très bien. Petit à petit, elle la vidait, deux bonbons à la fois, dans la main puis hop dans la bouche où elles explosaient leur goût mentholé (elle n'aimait que celles là et ce n'était pas négociable). Lorsque la boîte se vidait il restait toujours, toujours, deux pastilles collées sur le côté gauche, et même en secouant très fort elles refusaient de se détacher et de tinter. Elle jetait la vieille boîte avec rage dans la première poubelle venue.


807 pastilles jetées à ce jour. Tic tac.

dimanche 11 mars 2012

Teasing

— Et que fais-tu de mon malheur à moi, de mes exigences et des rêves d’une passion que tu as encouragée depuis 807 jours ! lui cria-t-il au bord du désespoir. Enfin, ce n’est pas si difficile que ça d’aimer !


Pour elle, l’amour, c’était ce qui précédait l’amour. Séduire, c’était surmonter l’obstacle. Et seule la difficulté l’intéressait.

samedi 10 mars 2012

L’emploi du rêve

Mes chers petits, votre amitié fidèle m’est précieuse et comme je fus stupide de penser qu’elle pût être funeste à mon travail ! J’aurais bien des choses amusantes à vous raconter mais je sais que le temps vous manque pour les écouter tandis que vous courez chaque matin à vos passions laborieuses comme des vaches à l’abreuvoir. Au fond, vous avez raison, je ne fais pas autrement et, tout comme vous, il me faut attendre le soir pour enfin goûter mon instant d’introspection créatrice. Et tous ces instants remplissent mes cahiers. Mais vous, quand inlassablement vous posez ce suc vespéral, pour ainsi dire le sel de votre vie et le meilleur de vous-mêmes sur vos blanches pages, c’est pour aussitôt les faire s’envoler jusqu’à mes mains étonnées et ravies. Ah, mes chers petits, je vous en prie, durant les huit cent sept ans à venir, ne vous lassez pas de m’adresser ces suaves missives sublimées de vos ressentis, ne cessez pas, c’est si salvateur, surtout le samedi, le saviez-vous ?


Sabato triste... Quelle jolie chanson ! Je me souviens l’avoir souvent écoutée sur un Teppaz à piles posé au bord d’un petit pont de Venise, et désormais tous mes samedis sont colorés d’une nostalgie étrange et délicieuse. Alors c’est vraiment le jour idéal pour faire les courses de la semaine au supermarché. Ou bien un peu de ménage.

vendredi 9 mars 2012

Frontières troubles

Les yeux clairs de Noémie sondent le regard vert de son père, tâchant d’y reconnaître un soupçon d’humanité et de vérité. Elle se perd dans cet abîme de non-dit. Elle revient à l’attaque, se laissant peu de répit, elle veut savoir :
— Si c’est le frère d’Otmar que tu as vu, est-ce vraiment un hasard cette rencontre car, s’il lui ressemble, peut-on imaginer que c’est son clone, suite aux expériences génétiques des Nazis ? Et que vient-il faire en France, que te... voulait-il ?
— À moi rien. C’est toi qu’il cherche, je l’ai soupçonné quand on a découvert les deux sœurs. La même signature morbide que j’ai déjà vue à Omsk. Car tu n’es pas ma seule fille, figure-toi. Comment imaginer que tu aurais échappé à la vague de clonage, il n’y a pas une petite voix à l’intérieur de toi qui te dit que j’ai raison ?
Noémie se sent défaillir. Elle doit se réveiller de ce cauchemar qui la place toujours dans sa ligne de mire ; où aller maintenant qu’elle se sait deux...


Elle voudrait faire 807 tours sur elle-même — effacer son double, mais d’un autre côté, trouver l’autre elle-même... et différente sans doute, cette idée la fait chavirer, brise son miroir. Elle trouverait Otmar qui ferait apparaître sa sœur et disparaître, espère-t-elle, l’écho de sa folie.

jeudi 8 mars 2012

Subterfuge

Un pas puis l'autre. D'abord le talon, ensuite la plante en appui ferme sur le sol, orteils crispés raclant la semelle de la chaussure. Tenir l'équilibre malgré les bourrasques, les passants trop pressés, avancer même si les jambes se débinent et que les pieds sont usés.
Faire semblant de regarder la vitrine pour reprendre son souffle, mais être attiré par les chaussures en cuir épais et souple qui rutilent, rêver d'en ressortir chaussé, pieds bien calés, chevilles tenues, et poursuivre sa route à grandes enjambées. S'arrêter 807 mètres plus loin dans le café, regard ébahi sur la serveuse, sourire des yeux, mais les siens sont cernés par deux grosses poches, deux rouleaux de chair violacée. Petite mine dans le miroir glacé. Ces laideurs de l'âge, pouvoir s'en cacher en s'abritant derrière des lunettes de soleil opaques. Et repartir encore. Presque rassuré, si ce n'est la jambe qui tire, le genou qui vrille.


Il a atteint la place bordée de statues qui bravent le vent et la pluie, durent sous le plomb du soleil et de la poussière. Des molosses aux corps de marbre, muscles tendus, regards défiants. Il a posé sa main sur l'un, remontant sur le cou pour en saisir la respiration. De l'autre côté du temps, enfermé dans sa peau flasque, il a fermé les yeux.

mercredi 7 mars 2012

Hippo-funambule

Être funambule, elle ne l’avait pas vraiment choisi. Sa mère, sa grand-mère, et avant elles encore, sans doute, son arrière-grand-mère et son arrière-arrière-grand-mère avaient été funambules elles aussi. Il fallait bien vivre. Son métier était de marcher sur un fil, et elle le faisait bien. Elle le faisait même très bien, puisqu’elle était funambule à cheval, hippo-funambule, ce qui, aux dires de certains qui avaient vu du pays, ne s’était jamais vu, ni en France, ni en Navarre.
Ce soir, c’était la dernière fois. Après la représentation, elle quitterait le cirque pour tenter une autre sorte d’aventure étrange et dangereuse, où les faux pas n’étaient pas moins risqués : le mariage. C’est elle désormais qui aurait le fil à la patte.
807 yeux braqués sur elle (il y avait un borgne), elle entama la traversée.


mardi 6 mars 2012

Home, sweet home

Il se recula, frottant contre son jean son pouce et son index droits bruissants, (c’était normal, il s’en effritait une poudre blanche et collante). Il hocha la tête avec satisfaction. Bien sûr, il y avait mis la matinée du dimanche, bien sûr le montage occupait toutes les tables de la maison, toutes les surfaces planes disponibles, plans de travail, tablettes de radiateur, chaises, rebords de baignoire y compris la moitié du parquet dans le salon et les trois quarts du canapé (il s’était laissé la place d’une fesse pour regarder la télé, quand même). Pourtant, ça valait le coup. Les petits cubes brillaient, leurs pyramides appliquées et naïves bien centrées devant chaque aliment. Il tapota sa ceinture trop serrée, mais il se sentit moins minable, moins coupable, déjà presque moins obèse que d’habitude. Il avait fait le premier pas, celui qui coûte. La désucrisation était en cours.


lundi 5 mars 2012

Clairvoyance

L'écrivain lut la première critique dithyrambique de son œuvre, enfin un critique clairvoyant ! Incrédule, il en lut une seconde, puis une troisième...


À la 807e, il comprit qu'il était mort.