mercredi 31 mars 2010

#71 – Trio fantasque

Le rouge-gorge lança son appel du matin « tirluitt tirluitt, uit uit uit ». J’ouvris un œil.


La tourterelle lui répondit de son appel réprobateur « RRho Oh, RRho Oh, RRho Oh ». Elle avait un léger défaut de prononciation. Elle rocolait !


Et le petit oiseau dont je ne connais pas le nom se moqua d’elle « Tset set, tset set, tset set ».
Huit heures zéro sept. Les trois étourdis s'étaient encore trompés. Ils avaient inversé leurs rôles. J’allais, une nouvelle fois, être en retard...

mardi 30 mars 2010

#70 – Prise de becs

– Salut ma petite poulette. Je ne te dérange pas ? Ça boume ?
– Oui, bof, non, (rayer les mentions inutiles).
– Pareil.
– Et ton livre ?
– Oui, bof, non, et le tien ?
– Oui, quand même, certes, mais pfff... Plaisant sacerdoce, au demeurant, déjà 807 pages de plumées.
– T’as au moins un os à ronger, tandis que moi, nada, la basse-cour vide, le poulailler exsangue, le désert du langage, ça me fout la chair d’humain ? ...Même pas un « sot l’y laisse » à me mettre sous le bec...
– Illusion, mon histoire passe beaucoup trop du coq à la cane. Pénurie de grains à moudre, le fil narratif me picore la moelle. Je compte la boucler quand on aura des dents, avant de m’éteindre. Va falloir accélérer.


Chaque phrase déboule, le sens collé aux mots, une adhésion affirmée qui dure bien dix ou quinze mots puis ça s’embourbe progressivement dans des trous d’indécisions. Ils s’accumulent, pétaradant mollement, vieux diesels. Le truc s’effiloche. Tentation de combler les suspensions par la première vérité approximative, et basta, passer à la phrase suivante. Ne pas arrêter le frein de l’inspiration par des chemins de traverses qui cassent la ligne. Quoique, nonobstant, pourquoi pas.


– J’aime tellement tes caquetages racés.
– Arrête, avec la contemplation de ton nombril duveté. Il faut dénouer ton fil à la patte, ouvrir les prunelles, abandonner ton nid, grimper en haut du tas de fumier, mater autour, élargir ton narcissisme à énormément de degrés, examiner les perspectives et dévisager l’univers dans son entière étrangeté. Oui, bof, non, (rayer les mentions inutiles). Y a pas que la mare dans la ponte !
– J’en prendrai de la graine.
– Que t’es sotte, blanche bec, à clouer ! Je te laisse. Y a un œuf dans l’eau...

lundi 29 mars 2010

#69 – Séduction

Elle avait abandonné ses études, soulagée en cachette d’un fardeau trop lourd pour elle, feignant de se sacrifier pour qu’il puisse achever les siennes.


Elle s’était comportée en amoureuse qui s’attache à ne découvrir en l’autre que ce qui lui plaît. Plus tard, devenue sa femme, elle oublia ce qui l’avait charmée et, devant des défauts autrefois insoupçonnés, maintenant intolérables, s’étonna d’avoir été séduite.


Quand il entendait la voix de Gisèle au téléphone, Yvan était partagé entre deux sentiments contradictoires : l’extase de ne plus vivre avec cette femme et l’horreur d’être, à travers Julien, encore dans sa proximité et même dans son pouvoir, via les 807 €uros de la pension alimentaire de son petit garçon.

dimanche 28 mars 2010

#68 – Le sept

Radio réveil détraqué, je luis sans sept à afficher. Passant directement du 6 au 8, du 16 au 18, du 26 au 28, du 36 au 38, du 46 au 48, du 56 au 58, le temps s'accélère à en donner le tournis.


Dès lors, comment vivre dans un espace temps d'où le sept serait absent ?


Il suffit de se répéter 807 fois ce mantra : le sept n'existe pas.

samedi 27 mars 2010

#67 – Gueule de bois

C’était le temps où ça y allait, le temps des Chevillard-Camaro, des Peugeot 807, des Nisard-Gloria et des Toyota Prius, des liseuses et des nuisettes, des pokes et du pacs. Je peux vous l’assurer, ça roulait et on ne se faisait pas de cadeaux. D'ailleurs les uns ont fini dans la fosse à bitume, les autres contre le mur.


La baronne de Rothschild avait prédit, sur un plateau, l’avenir du révolu. On aurait dû la croire.


Quant aux visionnaires, dopés par leur statut et la promesse du succès, ils en avaient pris plein les dents, et avec eux leurs courtisans. C'était pas net, on écouta les justifications contrites des premiers, on assista à la débandade des seconds. On para au plus pressé et on recommença, on en est là.

vendredi 26 mars 2010

#66 – Un croisement

L’infirmier revenait de la chambre 807. Les yeux tournés vers ses pensées, il ouvrit, doucement, la porte arrière à double battant de l’ambulance, laissant glisser derrière lui, dans la faible pente vers la sortie du parking de la clinique, le brancard.


Je relève la tête de mon carnet, de mon clavier, de mon écran, de mes pensées. Sur l’écran plasma au-dessus du bar, Nina Simone au piano chante un final vibrant, fortissimo, le public applaudit pendant que les mains de Nina Simone percutent le crescendo final. Derrière le bar, je vois la jeune serveuse, corps calibré mannequin, passer une parka courte et moulante, elle regarde Nina Simone qui regarde le public. La serveuse zippe sa veste jusqu’en haut, révélant l’attendue courbe de ses seins, et cale une cigarette entre ses lèvres, elle laisse une commande – « les cafés c’est pour le bar » – au serveur, sans le regarder, qui sort tout juste des cuisines. La serveuse passe sous Nina Simone, qui prend le micro, et sort. Le serveur pointe une télécommande vers Nina Simone, un menu de navigation des chaînes s’affiche sur la joue droite de Nina Simone. Le serveur quitte le canal 807 pour la chaîne NRJ, publicités, puis un clip trépidant de Christophe Maé.


La camionnette Sodexho avait laissé la porte-coulissante de son flanc ouverte. Un peu plus loin, un livreur poussait un chariot plus haut que lui, remplit des plateaux repas du midi. Petit suisse, deux sachets de sucre, part de camembert cellophanée, bol plastique à couvercle transparent et sa soupe de légumes verts, assiette à couvercle au contenu invisible. C’était le premier jour de travail du livreur, de vrai travail, CDI, après huit cent sept jours de chômage, stages, contrats d’intérim ; et puis enfin cette première période d’essai de CDI. C’était un jour chaud de février, bleu, le printemps donnait l’impression d’être en avance. Le livreur souriait, premier jour, première livraison, le soleil et sa vie semblaient d’un seul tenant. Comme il remontait la pente du parking de la clinique, regardant sur le côté droit du chariot pour voir où il allait, un brancard vide le croisa.

jeudi 25 mars 2010

#65 – Le fantôme

La visite de ce cher fantôme, vierge blafarde au drap enroulé autour de son corps gracile et transparent était à peine visible, sur le mur chaulé. Plus qu'un vrai dessin, je devinais une différence de densité, de distance induite, huit couches différentes de profondeur opaque s'étendaient entre le mur de plâtre et moi.


Pour retenir le miracle de ce dessin livide, j'ai pris dans mon cahier une page immaculée et j'ai tracé, sur le vélin virginal, au fusain, les huit formes opalines. Mais mon trait était noir et incongru. Ce n'était pas cela, il aurait fallu une craie, une plume d'oie, une poudre de lait, une mousse savonneuse pour faire le portrait de mon amie diaphane. Le pastel le plus pâle était encore trop foncé. Cette lactescence de son sang de porcelaine, cette vacuité irisée, ce port de Reine des neiges entourée de cent voiles vaporeux, je ne pouvais les saisir.


C'était un signe. Je devais changer. Javelliser mon âme ? Dépigmenter mon passé au sas des souvenirs ? Je devais choisir sept qualités fondamentales capables de guider ma main. Choisir l'audace, la candeur, la charité qui frôle, l'empathie, la tendresse, le pardon, la discrétion pour m'inscrire désormais dans la vie du monde ? La venue de ce fantôme palot était comme un appel pour que je m'efface comme le marbre devant l'albâtre, le lys devant le lilas et la colombe devant l'hermine. Livide et désespérée, comme un clown plâtreux qui se voit enfin dans la glace tel qu'il est. je regardais enfin ma page, il n'y avait qu'un énorme 807 en train de me narguer.

mercredi 24 mars 2010

#64 – 0,44 mille

On achetait un bateau qui devait rimer/voguer avec nos années de repos. Nous espérions camoufler nos grises mines à l’abri des espars et des voiles, avec pour espoir vain de retrouver le vent de nos vingt ans.


La liberté avait un prix : en premier lieu celui des interminables calculs pour déterminer/ajuster sa position, fixer/retrouver sa direction, le cap ou la route des îles Anglo-Normandes.
J’eus préféré me passer du mille – qui vaut 1852 mètres – et du nœud qui équivaut au dernier par heure soit 1,852 km/h ou 0,514 m/s. Que dire encore de l’affligeante encablure, 1/10 du mille marin, ou 185,2 mètres ?
Les chiffres en tête et la boussole vissée sous les yeux, nous étions prêts pour notre première sortie en mer.


À peine avions-nous quitté le mouillage que déjà le navire se déportait à tribord. Il vint frapper poliment et lourdement un petit chalutier. Les experts nous apprirent plus tard que notre rafiot était victime d’osmose. Sous la coque lisse et brillante sommeillait une maladie incurable. Les entrailles de la bête étaient contaminées. L'enveloppe censée assurer flottabilité et étanchéité explosa au contact du pêcheur, comme les parois d'une malheureuse bulle de savon cédant à la pression des forces de tension et de pression.
Coulée express : moins de 20 minutes.
Nous n’avions eu d’autre choix que de le laisser choir sur un banc de sable au fond de l'eau en attendant les secours. Nous avions parcouru 0,44 mille ou comme le répéta Achab jusqu’à ce que mort s’ensuive, 807 fichus mètres dans lesquels nous avions dépensé toutes nos économies de jeunes retraités.

mardi 23 mars 2010

#63 – Sous ses paupières

Il s'endort quand le 807e mouton se casse la gueule par dessus la barrière. Tous les soirs. Pas 806, ni 808. Juste quand le 807e trébuche sous ses paupières.


Ses rêves sont plus noirs que la nuit. Et le 807e mouton démembré qui ricane. Étalé comme une flaque de coton au pied de la barrière. Il gueule pour les 806 autres, comme un veau, comme la patte d'un loup dans les crocs d'un piège.


Un soir il lui fait la peau. Grands coups de taloches sur le 807e. Cloué au sol. Mouton agonisant au pied de la barrière.
Depuis il compte 807 cadavres de moutons qu'on suspend à des esses. Il ne dort pas mieux. Le rouge a simplement remplacé le noir.

lundi 22 mars 2010

#62 – La faute à...

Son écriture ronde et maladroite couvrait le papier à lignes de son cahier. Il en était bien à 807 pages. À vrai dire, il n'avait pas compté. Il écrivait simplement. Sans se poser de questions. Après tout, c'était le jeu, il l'avait bien cherché. Il leva le nez.


Elle se tourna vers lui, l'œil sévère et il replongea dans son écriture, concentré sur les pleins et les déliés. Évidemment, il soupira. Une 808e fois quand il passa à la feuille suivante. Les autres étaient partis depuis bien longtemps. Le soleil déclinait et il était là, rivé à son bureau, à recopier des mots qui lui semblaient sans suite à force d'être répétés.


Sur le chemin de la maison, un petit garçon pleurait, les genoux écorchés. La faute à Voltaire. Sale garnement qui lui avait une fois de plus lié ensemble ses lacets. Une gamelle s'en était suivie. La punition n'avait pas tardé. Et Voltaire passa à la 809e feuille, dans un soupir fataliste.

dimanche 21 mars 2010

#61 – Faudrait savoir !

Il faut avouer qu’il est difficile, voire impossible, d’exposer ses points de vue sur ce forum. Avec certains manichéens, si vous n’êtes pas totalement pour, vous êtes contre, et si vous manifestez un début de compréhension, vous êtes hypocrite.


Pourvue d’un raisonnement binaire : le oui et le non, le blanc et le noir, le bien et le mal, elle ne pouvait comprendre qu’il y avait des nuances, au moins 807 possibilités. La diversité, quoi !


Quand je me présentais pour un travail, on me disait « Trop jeune ! ». Maintenant on me dit : « À votre âge ! »

samedi 20 mars 2010

#60 – Où sont les pigeons ?

Si la sagesse populaire nous rappelle qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, Mao Tsé-toung nous a également enseigné que 807 hirondelles peuvent aisément, si elles se donnent le mot, inverser la ronde des saisons.


Depuis que la nouvelle loi sur la protection des animaux est entrée en vigueur, plus moyen de joindre par téléphone le vétérinaire ou le marchand de volailles, le réseau est saturé : poules, oies, poulets, canards, dindons, tous téléphonent à leur avocat.


Le chardonneret dans les mains du souverain, l'ancolie et le lys aux pieds des Rois mages, et pour nous le chemin boueux.

vendredi 19 mars 2010

#59 – Accident

Couvert de sang des pieds à la tête – au point de ne pouvoir distinguer la blessure d’où il provenait – le blessé suçotait l’air comme une carpe jetée par le pêcheur sur la prairie.
Je m’agenouillai, approchai mon oreille de sa bouche et répétai les mots qu’il murmurait un à un dans un souffle rauque : Huître... Centre... Sceptre... Nous étions loin de la mer, le centre avait perdu sa circonférence et ce type n’avait rien d’un roi. Mon impuissance aggravait mon incompréhension et mon désarroi.


L’homme trouva la force de bouger la tête en signe de dénégation et je vis une larme sinuer dans la boue écarlate qui masquait son visage. Il continuait à mâchonner les mêmes mots et je constatai que chacun d’eux s’achevait dans le roulement d’un râle. J’avais enfin saisi ce qu’il voulait dire et articulai à mon tour : Huit... Cent... Sept... Il se calma alors, entrouvrit les paupières puis écarquilla les yeux, seules touches de blanc dans tout ce rouge. Un mince sourire se dessina sur sa bouche alors qu’il rendait son dernier souffle. J’entendis d’abord la sirène, puis distinguai la lumière d’un gyrophare qui approchait à grande vitesse sur la longue départementale déserte qui coupait la plaine de novembre.


Je me relevai, pensif. 807, pourquoi 807 ?

jeudi 18 mars 2010

#58 – Un concours, deux circonstances

C’était la répétition qui en venait, feu à feu, à bout. Au début, tenir une ou deux pages s’était révélé suffisant, et facile. Doubler, tripler cela n’avait pas été si difficile. Faire plus, toujours plus, recommencer encore, n’avait pas été une partie de plaisir et ensuite, continuer, c’était ça l’impossible, nécessaire, pourtant, pas à pas, à la fois réalisé et manqué.


Il n’avait pour cible que le nombre entre parenthèses qui suivait le nom de « Jean Prod’hom ». Qui était-il, dans la marge du site, chaque jour ouvrable (et même les autres), qui était-il cet homme à l’apostrophe, cet homme portant le nom d’homme ? Pseudonyme ? Invention oulipienne ? Production algorithmique ? Quoi qu’il en fût, le chiffre augmentait, jusqu’où ? Peut-être 807, ce synonyme d’infini vertical et du néant de cette course vers, de cet escalier sans fin qu’il faut monter, synonyme du destin, forcément brisé, anguleux et impair ; cet escalier, c’est en tombant-roulant qu’il le dévala à l’envers.


En jouer à l’escalade était ce qui semblait faire tenir ce monde debout.

mercredi 17 mars 2010

#57 – Le cierge

Chaque jour après la messe elle entre dans l'église vide et allume un cierge, toujours au même endroit, face à la Sainte Vierge.


C'est une vieille dame bien mise, avec son manteau noir, son carré de soie prune, ses souliers bien cirés et son petit chapeau.


Aujourd'hui c'est son 807e cierge. Face à la Vierge elle a fait le serment d'en allumer un chaque jour jusqu'à la fin de sa vie. Pour célébrer la mort de son crétin de mari.

mardi 16 mars 2010

#56 – Moulin à paroles

Une dispute, l'homme à sa femme :
– J’aurais tellement de raisons à te donner pour aller travailler ce matin – tiens j’en aurais au moins 800 !
Émile monte dans une calèche et grommelle pendant tout le trajet.
– J’en aurais au moins 800 ! Plus même, 804, 5, 6, 807 même ; joli nombre, 807, en fait... Je pourrais en faire quelque chose...


Portail ouvert, l’attelage s’engage dans l’allée et stoppe devant le perron de ce qui semble être une toute petite entreprise.
– Bonjour M. Peugeot... Tout va bien ce matin ?
... Ne pas oublier d’en faire quelque chose...


Entre chiens et loups, un pas décidé crisse sur le gravier entourant la maison et Monsieur entre ; à sa dame :
– Merci pour ton courroux de ce matin ! Ça m’a stimulé... J’en ai profité pour dessiner les grandes lignes d’un nouveau moulin à café révolutionnaire. Je l’ai nommé le 807 !

lundi 15 mars 2010

#55 – Soulagement

Je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait comme de l'air que tous les livres ne fassent pas 807 pages...


Le Zaroff de Julien d'Abrigeon n'en compte que 120, et j'aime tout particulièrement la page 48.


Je surlignerai en rouge dans mon agenda le jour où j'en serai à la page 48 du manuscrit à suivre.
Parce que aller jusqu'à 807... autant compter des brins d'herbe !

dimanche 14 mars 2010

#54 – Insomnie en huit lettres

Sans quoi je refuse de sortir de mon lit, cria-t-elle. Elle le répéta. Huit cent sept fois même. Mais tous se tenaient groupés devant Les Chiffres et les lettres (trente secondes pour G I S O M N E N I O) le couloir était long jusqu'à la salle commune, elle pourrait bouder le temps qu'elle voulait. Elle se leva, donc, en chemise de nuit. Insomnie, huit lettres ! hurla celui qui s'appliquait, chaque nuit, à l'empêcher de dormir en jouant de la bombarde dans la chambre attenante. Moignon, sept lettres, concéda-t-elle en levant sa machette.


Depuis, l'atmosphère s'était, quoi, un peu épaissie ?


G I S O M N E N I O : avec un E de plus j'aurais pu faire ennemis. Avec un T, gisent. Pas terrible, tout ça, songea-t-elle. Surtout quand on sait que le jeu ne compte que neuf lettres, et pas dix.

samedi 13 mars 2010

#53 – P'tit con bière

Les verres étaient sagement alignés devant moi, sur le comptoir, les uns à côté des autres. Le garçon de café me regardait d'un œil noir, le torchon sur l'épaule. Il avait hâte de fermer le bistrot et de rentrer chez lui, je percevais son impatience. Avec un soupir résigné, il posa un énième verre devant moi.


J'ai compté 807 picons bière puis je me suis arrêtée. Ma soif était infinie, ma tristesse aussi. Cela faisait déjà 3 jours que je m'étais accoudée au comptoir, le regard de plus en plus flou, le cœur de plus en plus étreint. Il était parti, un soir glacial d'hiver, me laissant seule avec ma peine. Je pensais trouver réconfort dans cet alcool qui réchauffe mais c'était... peine perdue. Ma peine, je ne l'avais pas perdue, elle. Toujours là, jusqu'à l'os. Devais-je aller au-delà ? Persévérer et boire encore et encore ? 807 bières, était-ce bien suffisant pour tenter d'apaiser ce chagrin qui m'abîmait ? La 808, la 809 m'apporteraient-elles le salut ?
Lasse, fatiguée, l'esprit embrumé, je décidais de rentrer chez moi, sitôt cette 807e bière avalée... et cette dernière larme ravalée.


Le garçon de café pouvait rentrer chez lui.

vendredi 12 mars 2010

#52 – Mille et un matins

Au matin de la 807e nuit, Schahriar eut un mauvais pressentiment : la petite semblait à ce point fatiguée... Tout laissait croire qu’elle était prête à renoncer.


S. était tellement lasse... Rentrer ainsi chaque matin aux aurores. Dormir tant bien que mal tandis que les bruits de la ville autour... Et si elle laissait tomber ? Si elle l’envoyait paître, le Schahriar ? Si la nuit prochaine, elle l’insultait, le fameux sultan, au lieu de lui raconter des histoires ? Parce que, bon, ce n’était pas une vie ! Surtout qu’encore 194 nuits à tenir !...


Nul, dans l’entourage de Schahriar, ne comprit pourquoi, voyant revenir S. pour la 808e fois, il poussa un immense soupir de soulagement.

jeudi 11 mars 2010

#51 – Du silence

Je n'avais jamais fait le compte de nos silences avant aujourd’hui. Tu t’attendais à ce que j’annonce « huit cent sept ce mois-ci ».


Il souleva la potence, en évitant de toucher au cadavre qui se balançait au bout du nœud sans couler au travers. Il souleva la potence, c’était facile pour lui, géant. Il souleva la potence, l'arracha du sol, laissant au milieu des pavés de la place trois marques rectangulaires accolées qui formaient la lettre H. Il souleva la potence et la mis sous son bras, sans toucher au cadavre qui traînait sur le sol, derrière, pendu à sa corde. Il souleva la potence et il marcha, il avança, tenant la potence sous son bras, et le pendu, traînant derrière au bout de sa corde, laissait sur le sol pavé des traces grisâtres, de poussière peut-être.


Tout ceci, entre l’amour et le dédain, n'était qu'intime timidité.

mercredi 10 mars 2010

#50 – Possession

Elle marchait avec la désagréable impression que quelqu’un la suivait. Elle se retourna vivement. L’éclat du soleil l’aveugla un instant. Personne dans la rue, mais le sentiment d’une présence, tenace. Panique. Elle se mit à courir, un point glacé entre les épaules, grimpa les marches de la cathédrale et s’y en engouffra.


L’endroit était désert. Elle contournait le chœur, attentive au moindre bruit, quand elle se trouva projetée sur les dalles où flottait la lumière colorée des vitraux. Des mains la parcoururent, la fouaillèrent, l’empêchèrent de crier. Son agresseur, qu’elle ne pouvait voir, la pénétra sans ménagement, longtemps. Une insupportable jouissance morcelait son âme.


Elle rentra chez elle, défaite, mutique et pourtant habitée d’une étrange certitude. Elle s’isola des mois entiers, se détachant chaque jour un peu plus de son trivial quotidien, se punissant par un jeûne abusif. Au 807e jour de mortification, elle entra enfin au couvent. Quand la porte de sa cellule se referma sur elle, une lumière aveuglante lui grilla la rétine. Elle se sentit happée avec la même violence que dans la cathédrale quand, pour la première fois, Il avait pris possession d’elle.

mardi 9 mars 2010

#49 – De l'amour

L'être humain n'aspire qu'à la fiction, d'où son attirance pour l'amour.


– Je passe mes journées parmi les singes. Ils font les beaux, ne pensent qu'à baiser tout ce qui bouge, excepté moi ! Je n'en peux plus. Demain, je file ma démission.
– Tu bosses dans un zoo ?
– Presque. Une boîte de services informatiques.


Il attendit le 807e jour de leur histoire pour enfin lui dire qu'il l'aimait. Le jour où, précisément, il était sûr d'en aimer une autre. « Se pourrait-il que mon cœur vive par cycles », se dit-il 807 jours plus tard en enfourchant une Togolaise du boulevard Anatole France.

lundi 8 mars 2010

#48 – Un de perdu...

Première Saint-Valentin. Ils fêtent leur amour tout neuf. Il lui offre une douzaine de roses rouges, le Goncourt et le Femina, il connaît sa passion.


Passent les Saint-Valentin. Sept roses, cinq roses, puis une seule, rien d’autre. Puis plus rien. Les enfants ont grandi, quitté la maison. Il rentre de plus en plus tard. Elle ne s’en aperçoit pas. Elle a toujours un compagnon. Qu’elle abandonne à regret pour réchauffer le repas lorsque la clé tourne dans la serrure. Qu’elle retrouvera avec bonheur pendant que lui regardera le journal télévisé puis se plongera dans ses journaux. Il a tenté en vain quelques remarques. Elle a feint de lui reprocher Le Monde, Valeurs Actuelles, a plaisanté que, finalement, ils lui étaient bien utiles pour emballer les épluchures !


Ce matin, en se levant, elle a trouvé un petit mot sur la table de la cuisine. Il ne rentrera pas ce soir. Il ne rentrera plus. Il n’y a plus de place pour lui dans la maison. Elle n’a pas mal, elle s’étonne juste un peu. Plus de place pour lui ? Elle fait le tour de l’appartement. Un Mankel est posé sur son oreiller, un autre patiente sur la table de chevet. Dans les chambres des enfants, les étagères ploient sous les Poche, les Folio. Au salon, un Nothomb abandonné sur la table basse voisine avec un Murakami. Face au canapé, une gigantesque bibliothèque pleine à craquer cache le mur, du sol au plafond. Elle s’installe devant son ordinateur, clique sur l’icône « Mes livres » 807, elle possède 807 bouquins ! Excel ne peut pas se tromper ! Ma foi, un homme de perdu, restent 807 amis dans tous les coins de la maison ! (Sans compter ceux à venir !) Pas de quoi verser une larme...

dimanche 7 mars 2010

#47 – L'âme sur la toile

« Un ciel d’estuaire, avec des camaïeux de rose et de bleu, et une lumière rasante donnant des reflets cuivrés aux nuages... » le guide continue sa description du tableau tandis qu'une larme coule sur la joue de l'aveugle.


Dubuffet ? des gribouillis ; Monet ? des taches de couleur ; Pollock ? des pâtés de peinture ; Picasso ? des visages qui ne ressemblent à rien ; Warhol ? de mauvaises photocopies... Vous voulez que je vous parle des 807 peintures vues au MoMA ? Inutile. Celles de mon fils les surpassent toutes. Et il n'est qu'en petite section !


« J'ai voulu la peindre avec les couleurs de son âme », seront les seuls mots de l'accusé, professeur aux Beaux-Arts, pendant son procès pour expliquer son geste : l'assassinat de sa voisine et le découpage de sa boîte crânienne avec une scie égoïne.

samedi 6 mars 2010

#46 – Pâques

Nul ne sait pourquoi, mais on se mit à parler cette année-là d’un inconnu, l’inconnu de la concession 807 du cimetière de La Roche-sur-Yon. Un article à son sujet parut dans le journal local, puis un second, d’autres ensuite qui se multiplièrent. Rien dans sa vie minuscule ne prédisposait pourtant cet homme à une telle gloire posthume. Mais ce n’est pas tout, cette même année on évoqua la vie d’un autre inconnu, enseveli dans le cimetière de Cholet, concession 807 encore. Puis ce fut au tour de Niort, Nantes, La Rochelle... et ainsi de suite. Les plumes les plus avisées joignirent leurs voix à ce concert de louanges posthumes. De proche en proche une foule immense se leva, qui peupla les allées des pelouse grasses et satisfaites de la littérature.


Sous un parapluie, Margot et le croque-mort de Sète, enlacés sur un banc public.


Il avait tant neigé que tout le monde était resté à la maison, et dans le cimetière du village le souvenir des morts avait disparu sous une épaisse couche de neige. Je me trouvai décidément bien seul au milieu de toute cette éternité.

vendredi 5 mars 2010

#45 – Un putain de disque

Il choisit le 2e album du Velvet, inséra le CD dans sa chaîne Hi-fi, mit le volume à fond, instantanément le standard du commissariat de police fut saturé. Une stagiaire qui n'avait rien d'autre à faire a compté 807 appels, dont un pour savoir où on pouvait trouver ce putain de disque.


Pendant que la brigade antibruit se précipitait chez lui en faisant hurler les sirènes, il essayait de faire un sauté d'agneau dans sa nouvelle cocotte minute, sans ail et sans laurier et presque pas de thym, tant pis se dit-il, allons-y Alonso.


Il ouvrait une bouteille de vin quand les pandores ont sonné. Il faudrait arrêter ce boucan, vos voisins se plaignent. Ceux qui écoutent Didier Barbelivien si fort que les murs tremblent ? s'étonna-t-il.

jeudi 4 mars 2010

#44 – Automobilisés

Comme il ne pouvait plus faire confiance à Toyoda, le PDG de Toyota, c’était maintenant décidé : sa prochaine voiture serait de marque Peugeot, une splendide 807.


Il l’avait choisie sur Internet, elle possédait un réacteur et deux ailes qui lui permettaient de décoller, survoler la circulation et d’atterrir plus loin lorsqu’il y avait un bouchon avec 807 automobilisés sur l’A4. Heureusement, il connaissait un vendeur, dans une concession proche de la place de la Nation, avec lequel il était en cheville depuis longtemps.


Plus il lui envoyait de clients (il devait distribuer à ses connaissances les cartes professionnelles à l’enseigne du lion de Belfort qui lui avaient été confiées), plus il récoltait des avantages pour le jour où il voudrait s’acheter un nouveau véhicule. Là, ce matin, l’ami de chez Peugeot lui offrait un crédit sur cette voiture de rêve : durée cinq ans, 807 euros par mois, sans frais. De quoi redémarrer à neuf en se fendant la gueule.

mercredi 3 mars 2010

#43 – D'un cheveu

L’amour me rendait beau. Après son départ, je me devais de réagir rapidement afin de me conformer au cliché social du cocu : je me suis rasé la tête.
Me rendre laid est quand même ce que je fais de pire le plus vite.


Sur le tronc, l’oiseau
807 fois son pic
Soupir de l’homme


Dans son message de rupture, elle faisait mention, entre autres, mon extrême pilarité. Ah, ah, ah, la volupté de cette revanche lexicale ! Je sortais de cette histoire le torse hirsute et bombé.

mardi 2 mars 2010

#42 – 807 ça gaze, et un enterrement

Le chefaillon a dû sauter une étape de son développement psychomoteur. Tous les jours, il répète : « Ça gaze ? », comme il pousserait son cri primal.


Au 807e « Ça gaze ? », je lui ai répondu que ouais. Ça gazait. Ça gazait bien. Et ça baignait même aussi. J’ai ajouté que ça baignait même un peu plus que ça gazait, et que c’était normal. Le lundi, ça gazait, le vendredi, ça baignait. Quand on y réfléchissait, c'était dans la logique des choses. De mon point de vue, il était rare que ça gaze en même temps que ça baigne, mais ça pouvait arriver les jours de grand beau temps, avec le week-end dans la ligne de mire. Comme il me regardait avec des yeux ronds, je me suis enquis de savoir comment ça allait. « Et pour vous, ça gaze ? », j'ai demandé avec entrain. Il a eu l'air furieux. Il m'a lancé un regard mauvais et il a dit : NON, en découvrant ses incisives.
Je n'ai pas cherché à savoir pourquoi.


Il suffit de le regarder marcher dans les couloirs pour avoir la preuve irréfutable que l'homme descend du singe.

lundi 1 mars 2010

#41 – Dans lequel le capillaire mène à l'occulisme, sans différence notable

Elle gratte légèrement ses cheveux ou sa tête, on ne sait pas, et dit qu'elle a peut-être. Il lui dit qu'elle arrête. Elle lui demande arrêter quoi ? Il lui redit que oui, qu'elle arrête, parce qu'elle n'arrête pas. Elle demande ce qu'elle n'arrête pas, elle.


Il dit qu'il ne sait pas, ça, ce truc, cette manie, qu'elle est toujours à se triturer les cheveux, là, tout le temps. Que c'est énervant. Très énervant. Sa main, toujours comme ça, toujours fourrée dans. Au moins 807 fois. Elle dit qu'elle, elle ? Il dit que oui, elle. Elle dit que lui, lui ?


Il dit que oui, lui. Qu'il est désolé, absolument désolé, mais que c'est trop insupportable, cette habitude, ce tic. Il rajoute que ça le déconcentre, parce que ça l'énerve. Elle regarde les autres pour les prendre à témoins, chercher dans leurs yeux ou dans leurs attitudes la confirmation de ce qu'elle pense : c'est ce type qui ne va pas bien. Elle se débrouille avec ça, puis prend la paire de lunettes de soleil qu'elle avait accrochée au col de sa chemise, la déplie et se la plante sur la tête. Elle dit que bon, comme il voudra. Tout en disant cela, elle modifie légèrement la position de ses lunettes sur sa tête.