lundi 21 novembre 2011

Premier congrès/Eglefin fumé

Les éléphants s’installent toujours au premier rang dans l’amphi Poincaré : Franck le polygraphe, Joachim le jeune chenapan, Camille la bombe atomique, Magali la bayardère de Carnaval, Catherine l’isotope, Hélène le cyclone, Joël le vivisectionniste, Kzerphii le brontosaure, Laurent le gibier de potence, Michel le naufrageur, Xavier le pyromane. Aucun ne manque les salutations traditionnelles, chaleureuses et zélées, sourires naturels et forcés, traduisant la coopération amicale et la compétition féroce entre faux frères du parti. Le temps des interventions est décompté très précisément par un Mamelouk paranoïaque et mégalomane.
Le premier tribun, le fameux capitaine Eglefin, penché par-dessus le pupitre avec sa casquette de marin bien fixée sur ses cheveux fous, entame son discours au porte-voix en postillonnant : « Bande d'emplâtres, bande de voleurs, bande d'ectoplasmes de tonnerre de Brest, esclavagistes, que le diable vous emporte !.. » Le ton est donné. Le discours ferme et coloré se poursuit au rythme immuable d’un mot toutes les secondes pendant treize minutes. L’homme reprend son souffle : « ...protozoaires, cloportes, pyrophores, faux jetons à la sauce tartare, sapajous, vers de terre, crétins des Alpes, vauriens, scolopendres, schizophrènes, marins d'eau douce, cornichons diplômés, marchands de guano, huitcentseptophilistes ! » vingt-huit secondes de paroles finales pour un whisky bien mérité.
Le Mamelouk lance son signal : une seconde et un mot de trop.


Un silence glacial s’installe dans la salle. Puis une rumeur enfle soudainement dans les rangs de l’assistance, les bandes de bachi-bouzouks, d’ectoplasmes, de canaques, de sauvages et de voleurs s’agitent frénétiquement, hurlent, montrent du poing et insultent l’hérétique. Le premier rang bondit et se scinde en deux. Les dignitaires se précipitent sur l’estrade par les escaliers latéraux, bouchant toute issue de secours. Attrapant, frappant, renversant et piétinant le malheureux orateur, ils lui arrachent la barbe, l'aspergent de son alcool, l’enflamment. Une torche humaine jaune et rouge illumine l’amphi, la salle entière regarde avec joie et rage cet hérétique de capitaine Eglefin fumer et ne laisser qu’un tas de cendres et une pipe cassée.
Les éléphants retournent s’asseoir, le calme est revenu dans l’amphi. Les orateurs suivants sont prévenus : le congrès sera difficile.

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