mardi 11 mai 2010

#111 – Bancal

Tout le monde pleure.
Mais moi, je peux pas. Pas tout de suite.
Parce qu’il y a ce souvenir que me déborde le cœur en presque sourire. Malgré tout. Malgré toi dans cette boîte et l’hiver qui veut pas que printemps enfile sa robe à fleurs. Il y a une fourmilière pleine de vie, juste là, à côté du grand trou dans lequel tu vas dormir toujours. Il y a ma mémoire qui crache comme une fontaine.


C’était il y a tellement longtemps. On avait quoi, dix ans, pas plus. C’était l’été. Dans le grand pré derrière chez tes parents. On jouait à la guerre en douceur. En se balançant des épis de blé et des gros mots. Puis tu m’as appelé.
Viens voir ! T’avais trouvé une bestiole.
C’est un mille pattes, j’ai dit. Et toi t’as ricané.
Je sais pas pourquoi on les appelle comme ça, tu as fait, vu qu’ils n’ont que 807 pattes. T’avais ton air du gars qui sait tout et ça m’a énervé.
N’importe quoi, j’ai rétorqué. Et puis d’abord, s’il avait un nombre de pattes impair, il serait bancal.
T’as qu’à compter, tu m’as répondu. Et tu m’as envoyé l’insecte à la figure.
J’ai hurlé, comme une mauviette. Tu t’es moqué. Je me suis jeté sur toi et on a commencé à se castagner pour de bon. Et puis d’un coup, tu m’as embrassé. Un peu vite. Un peu violemment. Sur la bouche. Ça ressemblait presque à un coup fatal. J’avais perdu la bataille. Et l’instant d’après, on reprenait nos jeux débiles à dégoupiller les épis.


On n’a jamais parlé de ça, toi et moi. Je savais même pas qu’il était rangé dans mes souvenirs, ce baiser bancal comme un huit-cent-sept pattes...

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