vendredi 29 avril 2011

Les tourments d'Éric Chevillard



Levé à l’aube, j’ai démarré ce matin l’entreprise si souvent différée qui devait compléter l’enquête que je mène depuis un certain temps déjà sur un large pan de l’œuvre d’Éric Chevillard et, plus spécifiquement, me permettre de saisir la raison pour laquelle il s’était arrêté là de son décompte, 807, un mardi de janvier, dans ce qui devait être à l’évidence un jardin sous cloche ; pourquoi l’homme a reconduit une telle entreprise un jeudi de septembre – de la même année – au prétexte qu’il souhaitait connaître le monde – dans une pelouse cette fois-ci ; pourquoi il a demandé un jour de novembre – alors que les prés sont maigres – sa réadmission dans le pavillon des aliénés qu’il n’aurait jamais dû, dit-il, quitter ; pourquoi enfin cette œuvre qui l’effraie tant, son œuvre l’a conduit tout naturellement à soupçonner qu’elle était celle d’un autre. Je vous passe le détail. L’homme est aux abois, incertain de l’avenir. Pourra-t-il achever cette œuvre qu’il dépose brin à brin dans les rayons des bibliothèques du monde avant que celles-ci, si tôt déjà et il le sait, ne soient désherbées par les mains inexpertes de quelques fonctionnaires qui, tout comme lui, n’auront su de leur vie distinguer le merle au chant humide du corbeau aux sinistres présages ? Il ne reste à cet homme rien d’autre que la dérision en porte-à-faux, celle de l’homme tard venu qui découvre à la fin la confusion dans laquelle il fut, dernier cri de la littérature de pavillon, lorsque le génie se réveille et prend conscience avec effroi qu’il aurait pu ne pas être le premier serviteur des écrivains des pelouses, mais l’Alexandre de ceux des pâtures, celui qui dénoue, se dresse avec hardiesse au milieu du pré, deux poignées d’herbe portées au ciel, ultimes offrandes adressées à Dieu qui connaît le secret chiffré de ses tourments.

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