mardi 15 janvier 2013

ses trois poches soyeuses closes par des fermetures éclair



                              Elle a repéré ce sac en bâche de camion sur internet. Un site suisse. Sa forme rappelle un modèle ancien, une mallette de médecin de campagne qui s’appellerait Camille Guyard comme son arrière grand-père qui était accoucheur dans le Loiret. La bâche de camion est extrêmement résistante. Un sac comme lui, quand on le possède, on en a pour la vie, plus longtemps même. Quand elle sera morte, quelques grammes de poussières ou brûlée, eh bien la mallette restera encore, persistera plus que nos vies. C'est plus qu'un sac, c'est l’expression de la ténacité qui nous survivra. Elle est rouge vif. Elle peut servir aussi bien de berceau que d’urne. Quand elle reçoit par la poste, c'est main tremblée qu’elle déballe le paquet d’où des petites paillettes d’acier s’envolent et brillent dans un rayon de lune. Elle a un léger mouvement de surprise. Elle pensait qu'il était plus petit. Il est plus gros que son ancienne besace, plus elle vieillit, plus ses sacs pèsent sans lui apporter davantage. C’est incompréhensible et elle n’a pas peur de le dire au gros sac rouge vif en bâche de camion. Elle décide de le garder avec joie. À cause de la bâche de camion et de tous les voyages qu'elle a fait avant qu’elle s’effondre dans un grand flop chez des tailleurs de bâches suisses.

                      
                              Elle se promet de ne pas trop le charger. Mal à l'épaule qui s’effondre, derrière l'omoplate droite. Évidemment, dès le deuxième jour, le sac trop lourd. Car, comment résister à l'envie de remplir son intérieur ventru et ses trois poches soyeuses closes par des fermetures éclair ? Même rouge, un sac qui n'est pas lesté, fait pâle figure. Il semblait dégonflé, à quoi servirait-il s’il n’était pas blindé ? Elle ne sait pas. Mais celui-là, tout ce qu’il peut contenir dedans, tout son bric-à-brac à disposition, sous la main, au cas où, on ne sait jamais, ce qui peut se passer… (Panne d’électricité dans le RER entre Saint-Michel et les Halles, incendie au Bon Marché, ascenseur bloqué au 807 ème étage de la Tour Montparnasse, pénurie de nourriture suite à la crise grecque... ). Pas de boussole. Rien à boire. Du maquillage avec des paillettes, agenda, papiers administratifs mais pas de couteau suisse. Sac de survie. 



                              La beauté épaisse de ce sac échappe au commun des mortels, donc aussi à ses amis. Ils ne comprennent pas la fixation qu’elle fait. Elle tente de convaincre que c’est le top du top. Comment ? De quoiii?  Paul ne comprend pas. Eléonore pareil. Une explication, siouplé. Ils partagent leur incompréhension. Antoine aussi, il capte que dalle, pourquoi tu nous gaves avec ta besace rouge, il aime à partager son incompréhension singulière. Ils suivent ? Non, mais c'est normal. C'est mieux que rien. Elle ne blague pas là, c'est vachement sérieux. C'est imbitable. C'est brumeux. C'est clair, ça dépend, faut voir...Bien, ils vont pouvoir organiser une petite procession derrière le sac rouge en toile de camion. Certains ne vont pas comprendre cette démarche. Mais alors est-ce qu'il ne comprendront pas tous la même chose sans comprendre que c'est la même chose qu'ils ne comprennent pas, croiront-ils tous ne pas comprendre la même chose alors même qu'ils seront chacun enfermé dans une incompréhension a priori et intrinsèquement singulière ou simplement ne comprendront-ils pas que c'est qu’ils sont plusieurs à ne pas comprendre une même chose sans s’en rendre compte, ou bien que c'est précisément la même chose; soit qu’ils croient ne pas comprendre la même chose alors que chacun est toujours déjà enfermé dans une incompréhension à priori. Sac à noeuds. Les jours raccourcissent mais la compréhension d’une posture mode basé sur le rouge sang d’une besace -qui pourrait autant faire urne que berceau n’augmente pas. La compréhension est le faux visage de l'empathie. Elle n’a plus d’empathie pour ses amis qu’eux pour elle. L'empathie est le plus bas degré de la compréhension ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα. Ca dépend de ce qu’ils veulent dire en vérité. Kesako ? La vérité est dans son sac.

1 commentaire:

  1. Je vois que Camille à l'obsession des sacs, des poches et de la mode. On comprend. Dans ce gros sac rouge en bâche de camion, on peut y glisser un boa, "gros câlin" par ex., ainsi l'animal dénouera les noeuds de l'inconscient collectif !

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