dimanche 31 juillet 2011

Écoute !

Des cordes, il en pleut des paquets depuis cette nuit, elles s'abattent sur la mer, inondent le pont du bateau, dégoulinent du mat ainsi que sur notre pavillon et sur mon visage. Tu demandes si le jour s'est levé, possible que le soleil ait fait son apparition, on n'y voit goutte. Les autres rament mollement. Nous sommes pieds et poings liés à cette triste météo. Ouvrir la bouche pour boire la pluie tiède, déjà ça dans mon estomac qui rétrécit depuis deux jours. Toi sur qui je comptais comme personne, à la vie, à la mort, même quand tu me traitais de tête de nœud, et bien, finie la confiance en toi. Un picotement sourd au niveau du plexus me met la puce à l'oreille, l'impression qu'aujourd'hui ça va être encore plus galère que la tempête d'hier. Silhouettes floues de chats tapis, deux îles se rapprochent avec lenteur, tu conduis l'embarcation pile au milieu de l'étranglement des eaux. Tu m'as accusé d'avoir provoqué notre perdition, ouais tous les vents de la terre, c’est bien moi qui les ai déchaînés, mais j'ai une excuse: pas fait exprès ! Depuis la route du retour est perdue, et après ? C'est plutôt une excellente nouvelle, on va en découvrir de nouveaux paysages et échapper à la routine terrestre. Tu m'as fait mettre au piquet et à la diète, histoire de méditer sur ma connerie, les autres rigolent en douce. Attaché au mat avec un assortiment de nœuds plus compliqué que ceux de base, je me détache de toi. Avec la pluie, c'est encore plus serré mais pas question que je l'ouvre. C'est pas cette punition nulle qui entame mon moral, mais la faim. Rien dans le bide, je m’affaiblis. Paraîtrait que huit drôle d'oiseaux parasitent les alentours de cette zone, C. t'aurait mis en garde, il s’agirait de créatures aux mots envoûtants, aux chants clairs, il faudrait ne rien entendre pour échapper à leur irrésistible attraction. Têtes de femmes sur corps de mouettes, incapables de s'élever dans les airs, des ailes coupées. On devrait les ignorer en se mettant de la cire dans les oreilles et ne pas craindre de les craindre. Elles trôneraient sur des collines de vingt-trois os brisés puissance 2, de quatorze tendons puissance 2, une colonne vertébrale puissance 3, des monceaux d'osselets, des charniers de nerfs ainsi que trois têtes coupées puissance 4, ce qui ferait au total, si je savais compter, environ 807 restes. Des restes de marins égarés comme nous et déchiquetés par le tranchant des brisants. Bien qu'attaché et les tympans sans protection, je n'ai entendu rien entendu. Ni elles, ni même le vent. Peut-être parce que ventre affamé n'a pas d'oreilles, à moins que ce ne soit mon côté terre-à-terre. Mis à part le fait que personne n’ait dénoué les cordes qui m’emprisonnaient, (elles ont juste été tranchées), ce fut une traversée sans incident particulier à signaler.


2 commentaires:

  1. On les réclamait, les voilà ! Pas possible?
    Si! Reines du lisse et naïf nautonnier, en avez-vous jamais fini de titiller notre imaginaire? .

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  2. Superbe, ça scotche. Le rythme, les images, le voyage, que du bon.

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