samedi 15 octobre 2011

Differenciateur #3

Créer LA différence était devenu pour Georges M. la profession de foi de son activité de commercial. Pas la différence grossière et facile, incluse dans les performances des objets qu'il vendait, et qui se révélaient invariablement supérieurs à ceux de la concurrence. La différence technologique, créée par les ingénieurs et designers, très peu pour lui ! Il voulait LA différence, celle qui, dans l'esprit de l’acquéreur, le faisait l’élire LUI, en premier, devant ses collègues, quelles que soient les qualités du produit. L’acheteur devait se féliciter d’avoir obtenu auprès de Georges M. le produit miracle, et il devait absolument, pour son salut, revenir vers lui pour obtenir un nouveau bienfait. Georges M. était un commercial de l’âme, qui pensait qu'un acheteur dévot est un bon acheteur, et il ne reculait devant aucun stratagème honnête ou infernal pour l’endoctriner. Sa jovialité, son bagout, son amitié convertissaient immédiatement presque tous ses prospects. Les récalcitrants adhéraient en général grâce aux offrandes et autres pots-de-vin, et les supplices et châtiments venaient à bout des plus difficiles. Alors qu’aucun collègue de Georges M. ne pouvait tenter la moindre tartuferie sans se faire remarquer, insulter et excommunier, Georges M. pratiquait son sacerdoce avec autant de délicatesse et de subtilité que de désir d'aboutir. Il raflait toutes les primes de son entreprise, mais ce qui lui plaisait le plus, ce qui ravissait son âme, c'était l'immense dévotion que lui vouaient ses clients, la foi aveugle que lui portaient enfin ses ouailles. Lorsque leur dépendance à sa personne était totale, que leur adoration était sans faille, il savait alors qu’il avait créé LA différence. Invisible car tressée dans les esprits de pensées et de mots, sa puissante ascendance était ignorée de tous.


Un matin d’hiver, George M. annonça sa retraite par email à ses acheteurs. Déboussolés par cet abandon, ses disciples le supplièrent de les accompagner et les guider encore et toujours. Mais insensible à leurs prières, Georges M. partit jouir de sa richesse à l'autre bout du monde dans son paradis fiscal. Ce qui déclencha une vague de 807 suicides d’acheteurs.

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