vendredi 7 octobre 2011

La compagnie des prurits

Si je n’avais pas les cordes vocales coincées (je crierais), les doigts engourdis (j’écrierais). Mais je suis ligotée par une sorte de transe et je me contente de souffrir en silence. Pourtant, pour un peu, j’écrirais bien mes combats désespérés. J’appellerais ce texte, non pas la Compagnie des spectres, ou la Compagnie des jeunes pianistes, comme le fameux livre que je viens de prêter à Malgorzata et qui raconte les amours incestueux d’un virtuose d’Oslo qui joue du Chopin en pensant à la mère de sa fiancée, non, j’appellerais ça la Compagnie des prurits. Compagnie dans le sens de groupe, de club, de gens divers convaincus de la nécessité de rester ensemble mais aussi compagnie dans le sens d’accompagnement et de façon de lutter contre l’absolue solitude. Car c’est mon compagnon habituel de chaque instant, avec comme pour une partition d’orchestre, chacun sa petite note et son petit vibrato : du suintement voluptueux dans mon conduit auditif, à la raclette de la peau des joues tavelées, sans oublier l’absolue démangeaison de chaque entre-doigt, la rougeur obsédante des chevilles, ma plante des pieds en feu, le gonflement irrité de ma nuque qui semble habitée pas tous les parasites de la plaine de l’ouest américain, l’épaule, le creux poplité, le dessin animé dans mon cuir chevelu sans parler évidemment de zones qui devraient rester discrète mais qui me font me tortiller comme un incontinent obèse dans une salle de concert pendant le boléro de Ravel. J’ai changé mes draps, dépensé des fortunes en paillettes de savon biologique, continué ma collection internationale de crèmes et onguents antiallergiques. Rien n’y fit. Rien n’y fait. Serais-je, sans le savoir la fameuse brebis galeuse de la Bible ? Mais je ne suis jamais allée dans le pays de Galles. Je me griffe les joues par excès de grattage (sans gagner au tirage) et je vois sur ma peau, blanche comme une souris chauve dans un champ de neige suédois, 807 de ces papules, taches, macules, simples boutons de mousticus vulgarus, situés toujours par trois, comme les pies dont les couples amoureux se dotent toujours d’une vieille tante célibataire pour garder les œufs ou comme l’époustouflant mystère de la Sainte Trinité dont je n’aurai pas l’outrecuidance de mêler son puissant symbolisme à mes opéras dermiques. J’ai vu plus de médecins en un an que le rwandais moyen n’en verra tout au long de sa vie. Je ne veux plus en voir un en peinture sauf peut-être le docteur Gachet… Je veux me bagarrer seule.


J’ai commencé une danse synchronisée entre grattage et huile essentiellement essentielle, enfin c’est le pharmacien qui le dit car pour le moment, à part l’odeur qui devrait faire fuir un troupeau de bisons, tout autre effet ne se fait pas sentir. Je change, je varie, je jongle, je supplie le tea-tree de conjuguer ses efforts avec le ravintsara ou la lavande fine, mais rien ne marche, je me gratte et je me gratte encore jusqu’au sang. Vous direz que cela m’occupe. Ce n’est pas faux. J’écris, ce me semble, en ce moment, à cette minute même, ce qui m’empêche de me gratter. Mais je ne vais pas pouvoir écrire toute la vie quand même !

5 commentaires:

  1. Continue d'écrire, Mo, va jusqu'au roman. J'ai même le titre, pour toi, que penses-tu de "Ce que tu sais de Candidans"?

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  2. Magnifique texte MO qui me concerne directement. Connaissez-vous "La démangeaison" de Laurette Nobécourt ? Je suis très impressionnée par votre constat qui dénonce l'évidence ! Bien à vous.

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  3. "Mais je ne vais pas pouvoir écrire toute la vie quand même ! "
    SI! SI! C'EST UNE TRES BONNE SOLUTION !

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  4. "Mais je ne vais pas pouvoir écrire toute la vie quand même ! "
    SI! SI! C'EST UNE TRES BONNE SOLUTION !

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  5. Maudits...mots dits soient les maux...MO !

    Bravo pour leur accoucherie et leur fécondité harmonique.

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