dimanche 31 janvier 2010

#12 – Lessivées

Dans les petites choses, il y a des choses plus petites. Et de grandes choses aussi dans les petits détails. Le monde n’est pas bien proportionné.


La même violence, chaque matin, et je n’éprouve aucun remord. Je claque le hublot sans pitié. Vous pouvez bien pleurer, crier, appeler à l’aide, bande de culottes et de chaussettes dépareillées ! Vous pouvez vous cacher au fond d’une taie d’oreiller, vous tapir dans l’un des gras replis du joint caoutchouté, l’eau montera, inéluctable, elle vous submergera, imprégnera vos fibres jusqu’à la moelle, au centre... Et cette poudre blanche, lumineuse, éclatante, se répandra en vous, vous contaminant toutes, comme le fit la peste en son temps sur les hommes... Puis vous serez pressées, battues, vaincues, centrifugées, aplaties par une force tournoyante inhumaine ! Vous demanderez merci. Et quand le bouton rouge signalant la fin du programme s’allumera, j’entendrais peut-être vos plaintes. Si je ne suis pas en train d’écrire un truc sur la lessive.


La parfaite symétrie du 808 le destine à un grand avenir. Comme le 807 paraît gauche et claudiquant, en comparaison... ! Le 888 se marre pendant que j’écris.

samedi 30 janvier 2010

#11 – Le pixel de la littérature

Vingt-six lettres d'alphabet pour ces blocs de deux cent cinquante pages imprimées dont débordent les étals des librairies et autres supermarchés : voilà bien là le poids de la littérature, où un Jardin pèse autant qu'un Chevillard, autant que jadis un Nisard pesait. Et c'est à bout de forces que le livreur de la Sodis arrive à la Fnac, poussant péniblement ce pesant diable de 807 kilos débordant de cette vaine combinatoire de lettres, d'encre, de papier. Pensons à lui.


Ce n'était pourtant qu'une simple prise de sang, ma veine était saillante et bleue, l'étudiante était avenante et, comme le veut la légende, nue, sans doute, sous sa courte blouse. Son sourire aux belles canines blanches, dernière image que j'emportais de ce monde, me réconforta, ça et le fait d'être mort pour la science.


Bien sûr tout ceci ne me concerne ni ne me touche, car le numérique ne pèse rien et dans mon sang coulent les pixels.

vendredi 29 janvier 2010

#10 – La Recherche

Tome 1. À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Page 807, le narrateur ne trouve pas comment exciter la curiosité de Saint-Loup en lui parlant de ses jeunes filles.


Tome 2. Sodome et Gomorrhe. Page 807, le narrateur trouve sur la terrasse de l'hôtel un volume de Madame de Sévigné oublié là par sa mère.


Tome 3. Le Temps retrouvé. Page 807, le narrateur trouve de la saveur aux poilus et aux petits Parigots.

(Bibliothèque de la Pléiade, 1973)

jeudi 28 janvier 2010

#9 – Rapport aux bêtes

Les archives en témoignent : le taupier de Pra Massin a pris 807 taupes au mois de mai 1919. Vendues deux sous, elles étaient destinées à habiller les dames de la ville qui manquaient de tout. On a fêté le taupier. Soit. Mais n’est-il pas excessif qu’on m’envoie aujourd’hui devant le juge pour avoir piégé la taupe qui a retourné ma pelouse l’été dernier et avec laquelle j’ai confectionné un joli porte-monnaie pour Lili ?


C’est par respect des bêtes que Jean-Rémy se sent obligé de parler à ses deux chiens comme s’ils étaient la chair de sa chair. Et c’est, je crois, pour obéir au principe de réciprocité qu’il aboie contre mes enfants chaque fois qu’il les voit.


La femme du médecin regrettait parfois de ne pas avoir épousé un vétérinaire.

mercredi 27 janvier 2010

#8 – Une pensée pour Kaamelott

On demande souvent à Marge pourquoi elle n'était pas chevalier à la table ronde... Et elle répond simplement que les sièges n'étaient pas confortables... Elle est donc restée dans la marge...


Continue de marcher, c'est bien, oui, exactement... continue, même après le 807e... avance jusqu'au dernier con à ta gauche, c'est ça... ça donne un avant-goût de l'infini...


On est tous le con de quelqu'un.
On a besoin d'affirmations.

mardi 26 janvier 2010

#7 – Rechute

Le dodu flanqué de ses deux cintrés gardes du corps regarda en ricanant le cadavre asymétrique et brisé de son prédécesseur. L'ère du 808 pouvait commencer.

La littérature passe son temps à recommencer au début ce que nous savons déjà. Dernier exemple en date : le marque-page de Choir. Je le constate chaque matin quand je reprends ma lecture à la descente dans le métro, il est tombé du livre pendant la nuit, à moins que ça ne soit l'inverse, ce qui ne m'étonnerait guère, que ce satané livre soit tombé de son marque-page. Après ma lecture pendant le trajet du soir je mets le marque-page fourni avec Choir à la page en cours de lecture, je referme le livre et le range dans mon sac. Le lendemain matin, je descends dans la bouche de métro et, ouvrant mon sac pour en tirer l'ouvrage et poursuivre ma lecture de ce monde de boyaux boueux, de sable nauséabond et de tristes visages à la hargne passive, je constate que l'un et l'autre, marque-page et livre, ou l'inverse, bref, sont tombés l'un de l'autre. Je feuillette nerveusement les pages à la recherche d'un indice, mais non, je ne retrouve plus où j'en étais, toutes ces pages sont imprégnées de la même atmosphère plate et pénétrante d'ennui, qui torture mes doigts à toucher les feuilles, et me donne envie de me gratter derrière l'oreille, éveillant les regards intrigués, dégoûtés, des mes voisins de rame, qui changent alors de place, s'ils le peuvent, sinon ils me tournent leur dos et je les découvre sans membre, sans tête, rien que des dos, comme si déjà ils partaient, mais non, je ne tombe pas dans cet espoir facile d'imaginer que ma station est proche, que nous allons tous descendre ensemble, non, alors il le faut bien, et je m'y résigne : je recommence ma lecture au début. Avec l'impression toujours nouvelle d'avoir déjà lu ça, ce jusqu'à la fin du trajet où je mettrai le marque-page fourni avec Choir à la page en cours de lecture, rangerai le tout dans mon sac, ne sachant pas (tout de même, un peu de surprise !) si lors de mon retour le soir ce sera le livre ou le marque-page qui sera tombé de son étreinte avec l'autre, et à nouveau le soir, sortant du métro pour rentrer chez moi et...

Quand il eut terminé, passant une main calleuse dans ses cheveux blancs, il se retourna sur son œuvre, et se dit que trois, ça allait bien comme ça.

lundi 25 janvier 2010

#6 – Soldes d’hiver

J’ai de quoi vendre divers objectifs non atteints, 807 pour être précise, et me contente de quelques livres d’occasion. Je lis Régime sec de Dan Fante, fils de John (Demande à la poussière) et me demande si je ne choisis pas mes lectures en fonction de ce que je vis. L’écrire permet d’y voir clair. Risque pas que j’achète Choir, même en solde.


Les bras ballants, il étire par deux fois son grand corps, que le travail à la bêche a plié. Il est roux de poil et bleu d’œil. Des sous noirs chaque année grignotent ses hectares. À présent il peut voir distinctement le rouge et le blanc de l’enseigne, même entendre le chant du corbeau vert lové dans le cœur du A d’Auchan. Il reprend la bêche, avec acharnement.


Des relents d’alcool bon marché pénètrent mes narines. Un jeune homme crasseux et bavard, à l’aspect louche de colporteur et de bateleur de foire, m’invective d’une voix rauque et avinée : Soldes chez Pronuptia !

dimanche 24 janvier 2010

#5 – De la publicité

Vous trouverez sur Times Square, à l'angle de la 41e rue et de la 7e avenue, deux grands panneaux publicitaires pour une marque de vêtements : un beau mannequin, homme, la quarantaine, métis, la classe absolue, photographié devant la muraille de Chine. Ce mannequin est aussi président des États-Unis. Il a promis, paraît-il, pour son prochain voyage en Chine un shooting sur la place Tian'anmen, pour une pub Google.


Bientôt, dans les rues de Paris, des pubs pour des lunettes de soleil pour aviateurs et des montres suisses par le président de la République française.


Je vieillis et, si je n'y prends garde, j'aurais gâché ma vie. Alors écoutons notre illustre intellectuel, agent matrimonial de la République à ses heures, et utilisons le pouvoir prescripteur de ce blog ; la firme m'offrira sûrement un modèle pour me remercier. Allez, je compte jusqu'à 807 : Rolex, Rolex, Rolex, Rolex, Rolex...

samedi 23 janvier 2010

#4 – Effet de serre

Ce que je ramène de ma résidence 2009 à Copenhague ? Un long poème de 807 vers, isolés par un vide sanitaire qui tiendra éternellement leur cœur au chaud.


C’est un homme engagé, et pour diminuer de moitié ses rejets de CO2 pendant la journée, Jean-Rémy respire une fois sur deux. En contrepartie il s’hyperventile tout au long de la nuit pour nourrir ses cactus et son gommier.


Surpris par la fonte des neiges le ruisseau coule la tête hors de l’eau.

vendredi 22 janvier 2010

#3 – Le cosmos, cette saucisse

On connaît tous la théorie de la saucisse. Comme quoi l'univers, actuellement en expansion, se serait préalablement contracté juste avant le big-bang, dans une phase précédant son expansion, juste après un autre big-bang, etc., lesquels bigs et bangs font alors, mais comment dire, figure de petites ficelles à quoi suspendre les mondes à la poutre, comme une avenante proposition de charcutailles.


Je ne sais ce qu'en pense le lecteur, mais en ce qui me concerne (prenons un chiffre au hasard), 807 cosmos de même que 807 saucisses de Strasbourg, tout d'un coup pour soi tout seul, cela ne me paraît pas bien raisonnable. Et une chose est sûre : pour une raison que j'identifie mal, je ne penserai jamais les choses au-delà.


Tiens, je mangerais bien une choucroute, moi.

jeudi 21 janvier 2010

#2 – Choir dans le jazz

Rien n'est plus surestimé que la littérature. On lui confère un pouvoir qu'elle n'a plus – l'a-t-elle déjà eu ? Pour preuve : j'avais apporté avec moi dans l'avion qui me transportait vers les États-Unis un livre intitulé Choir. Que s'est-il produit pendant le vol ? Rien, évidemment. Et pan pour l'orgueil de l'auteur !


Alors que Mike Stern réglait le son de sa Telecaster dans le coin qui tenait lieu de scène au 55 Bar dans West Village, je cherchais en vain Simon Nardis et Braine. Et Christian Gailly se foutait de ma gueule entouré de Debbie Parker et Rose Braxton.


Faudra-t-il que j'aie lu 807 livres à couverture blanche et liseré bleu avant d'oser envoyer un manuscrit rue Bernard-Palissy ?

mercredi 20 janvier 2010

#1 – L'autofictif

...804... 805... 806... 807... j’en étais là du dénombrement rigoureux des brins d’herbe de ma pelouse quand je fus pris d’un doute rétrospectif concernant le troisième, qui croît en bordure de celle-ci, légèrement décalé, et que j’avais eu tort peut-être de tenir pour ma propriété. La consultation en urgence du cadastre me confirma dans mes droits, mais quant à mon arpentage : tout est à refaire.


Fait remarquable : on prétend toujours que la littérature est morte quand tout le monde s’ennuie, quand c’est en réalité l’époque qui manque d’imagination.


Il tient dans sa main gauche un délicat bouquet de roses pâles et, serrée dans la droite, enroulée plusieurs fois autour de son poignet, la laisse d’un molosse qui gronde et bave ; tout cela je suppose pour sa douce fiancée.

L'autofictif, 18 septembre 2009