jeudi 27 juin 2013

Lapin malin

             Après des jours de pérégrinations dans ce désert, de neige et de glace, qui n’avait rien d’un œkoumène, en proie à une fatigue extrême, dans un souffle de lucidité, il dut remplacer son dernier husky par un troupeau de rennes qui passait par là.
 

             Alors, 807 jours et nuits fondirent sur cet inlandsis et tous les rennes périrent, exténués et affamés par tant d’efforts, sauf un qu’il relâcha dans la toundra tandis que deux ours polaires perdus, qui glissaient sur un iceberg, se jetèrent à l'eau pour prendre la tête du traîneau.

 
            Après des kilomètres de traversée inhumaine, le musher stoppa sa pulka – qu’il tirait depuis des jours avec l’énergie du désespoir – devant l’entrée d'un l’hôpital pour, enfin, soigner la petite patte du lapin blanc, enveloppé dans un duvet, qui dormait encore à l’arrière de sa luge.

mardi 25 juin 2013

Les sacs poubelle de la plus belle.

                
                 Cindy descend du train et retrouve Kent. Elle lui tend un journal.
Cindy :- Salut trésor. Quelle feuille de chou. Trop de gens qui réussissent dedans, et moi qui zone un peu plus chaque jour. Je suis où ? 
Kent: - Alors quoi de neuf ? Qu'est-ce que tu m'as manqué. 
Il jette le journal par terre.
Cindy: - Une fois de plus, Albatror a essayé de m’arnaquer, de m’arnaquer moi. De m’arnaquer doublement. Ma collection de médailles de guerre ? Avec la belle médaille que je t'avais montré, si si avant hier ? Celle de la victoire ? Et bien elle a disparue, dorée qui brille en plus.
Kent :- Cet insigne, je crois, il est tout à fait rond.
Cindy :- Et quand il est revenu et bien qu’est-ce qu’il avait sur son blouson ? La MEDAILLE. Quel dégueulasse. Et le truc qu’il a ramené, non mais tu verrais, je n’ai pas voulu y croire. Un truc t’imagines même pas. En plus...C’est pour ça... Pour ça que... Que ça... Je dégustai un burger. Il m’a cherché...le marteau n’était pas loin. Le marteau. Il était…


              Kent :- Et comment on nettoie ?
Cindy: - On n’a qu’à couper, en morceau, balancer dans la Nièvre, y a des sacs poubelle chez moi. 
Au public : - Il s’est effondré comme un arbre s’effondre et moi, chaque fois qu’un arbre tombe, je pleure, sauf aujourd’hui. Je me sens PERDUE.
à Kent : - On sort ce soir ? Au Tropicalo ? T’es beau comme ça. Tiens, je vais te mettre un genre de pin’s. Regarde comme elle est belle, ma médaille. Celle que ce batard m’avait taxé. 
Elle pouffe. Au public: - Pour mon chou, tout. 


                Arrive Alban: - Non, mais vous êtes ? Si, si, c'est bien vous...Cindy ?
Cindy tentant d'accrocher la médaille au blouson de Kent: 
- Oui, non, je ne sais plus...Où on est ?
Kent :- Mais non, mais pas comme ça, plus droit, plus doucement.
Il regarde la médaille sur sa veste, prend l’air fier et se repeigne.
Alban:- Vous êtes mon idole depuis toujours, depuis ma naissance. Pouvez-vous me signer un autographe ? 
Il ramasse le journal et le tend à Cindy.
Cindy prenant le journal, le signant sans jeter un oeil à Alban puis sortant un petit sachet de son sac et le tendant à Kent :
- Et regarde le truc qu’il a ramené, quel cauchemar, regarde bien !
Elle ouvre le sachet et lui met sous le nez.
- C’est quoi ça ? Ca, c’est de la…
Kent lui murmurant à l'oreille: - Poussière galactique.
Cindy se tournant vers Alban: - Encore là, vous, mais on ne vous à rien demandé. Dégagez ! 
Il part à reculons.
à Kent. - Même pas vrai, amour chou. Elle sniffe
- C’est du glucose. Je n’ai pas voulu y croire. On lui avait pourtant filé la thune. Combien déjà, la thune qu’on lui avait filé. 807 francs. C’est ça.
Elle pleure. Au public : Ce porc nous a arnaqué de 807 Fr. 
Elle tend les billets.
Kent les compte et les met dans sa poche. 
Au public : - Le compte est bon.

dimanche 23 juin 2013

Chevillard, homme de glace


                J’ai naïvement pensé converser avec le miroir sans tain, à la santé du Saint Chevillard, mais en relisant son billet au sein des Vents contraires, mon huit-reflets a pris le melon et ma canne anglaise s’est redressée d’un coup ; 807 signes des temps ou bien priapisme matinal suivi d'une pose devant cette glace où l’on a l’air d'un encornet sans boules. Certes, Éric sait ôter la plume de paon à la chatoyante fourrure d’une alouette faisant sa mignonne au pied d'une psyché. Mais, il parvient aussi à traverser le miroir sans se couper un ongle. Il est le frère d’armes du verre de lampe, passant le ver au gris de la matière pour atteindre la soie du verbe. Lui, il en a dans le cocon. Il ne craint pas de faire bonne figure, du style nez rouge à la barbe d'une glace. Tel le poisson japonais nageant dans son bocal, il nous délivre de cette joie enfantine toujours renouvelée par l’oubli. 

              Ainsi, Éric Chevillard réussit à couler l'iceberg entre les deux pôles de notre psyché tandis que nous avançons, à pas de loup, sous le regard vitreux du miroir. Chaque matin, il nous observe — avidité de bombyx aux lèvres —, afin de nourrir, avec nos oripeaux et les restes de nos identités squameuses, les chairs palpitantes de ses aphorismes bébés qui crient famine.

            Voilà, Chevillard a fait bombance et offre désormais à son miroir le sourire carnassier d’un vendeur de piranhas derrière sa vitrine réfrigérée, lors d'une foire aquatique. J'aime donc croire que cet auteur est le bel ami de la psyché. Le compagnon d’épopée du verre pilé – frère des scarificateurs de tout poil – et même sculpteur de glaces exotiques qui fondent à la vitesse d’un éclair au café ; qui fondent sur notre gueule de métèque burinée par le sel de table, la mousse à raser et les calendes grecques.

vendredi 21 juin 2013

Étretat


               Première fois que je viens à Étretat. Je n'étais pas prévenue, c'est une ville d'amoureux, et ce ne sont pas les goélands obèses quémandant des moules, des frites et du n'importe quoi aux couples dînant sur les terrasses chauffées des restaurants alignés sur la jetée qui prétendront le contraire.



              Montée à la Chapelle, vent terrible, tandem allongé dans l'herbe, elle dans ses bras, regardant ensemble dans la même direction etc... Fixé l'aiguille en face qui se plante dans mon cœur.


              Redescendue, trouvé un rayon de soleil et un banc. Écrit un 807 aigri. 

mardi 18 juin 2013

Oscille sous le fléau et plie sous le joug



                Cher Pierre,
Sale journée aujourd’hui, une mauvaise nuit, les premiers moustiques, la lecture du petit opus de Jean François Billeter sur le silence millénaire de la Chine (Chine trois fois muette, Editions Alia, 2010), l’abattement des élèves dès 8 heures, le soleil qui n’avertit pas, les grondements du chantier tout à côté, le racolage où qu’on soit, les simplifications outrancières, l’inadéquation de nos moyens. 
Suis-je le théâtre de cette noirceur, ou cette noirceur habite-t-elle les choses ? Hésite sur la réponse à donner, oscille sous le fléau et plie sous le joug.
Me dépêche de quitter la mine lorsque je le peux, en me réjouissant de me retrouver à 807 mètres au-dessus de la mêlée et en espérant que cela suffira à transfigurer le reste de ma journée. 
D’apercevoir la nouvelle acquisition de Sandra tirée de la benne aux déchets encombrants et déposée au pied de l’érable, d’entendre les éclats multicolores de Louise sitôt la porte ouverte, d’apercevoir Arthur qui fait ses devoirs en souriant, de goûter à la fraîcheur des pierres de taille du Riau m’incline à penser que je suis à l’origine de cette noirceur excessive. 


               Sans trop me réjouir pourtant, je n’exclus pas en effet que la crainte et le pessimisme de Billeter ne soient fondés. Que reste-t-il dans cette société qui ne soit soumis à la logique économique ? Ce lieu mis à part, peut-être, où je me replie, où il m’arrive encore de vivre comme ceux qui sont venus avant moi et, je l’espère, ceux qui viendront après, s’ils maintiennent intact l’altérité sur laquelle reposait le possible et que nous croyions sans prix, mais à laquelle s’est attaquée depuis peu la raison marchande. Ecrire et résister.

samedi 15 juin 2013

Le sens du poil.


                      Si j’avais été Eric Chevillard




                     (ce qu’à priori je ne suis pas)




                      je n’aurais pas perdu mon temps à compter les herbes de mon jardin, ni les feuilles de mes arbres ou les pétales de mes roses, encore moins leurs sales épines, j’aurais arraché un à un les poils de ma moustache et de ma barbe, comme ça, tranquillement, comme on effeuille une marguerite, ou encore ceux de mes bras, ceux de mon torse, ceux de mon ventre, ceux de mes guibolles, j’aurais bien réussi à en trouver 807 (et pas 806 ou 808), toute la difficulté (tout l’art du jeu) consistant à choisir une partie du corps susceptible de fournir pile poil ce chiffre, sans avoir besoin de tricher, ce qui exclut  les poils crâniens, bien qu’aux dernières nouvelles il s’en soit trouvé un (le jury l’atteste) qui en aurait compté 807, Eric Chevillard en personne, qu’on peut féliciter d’avoir eu l’intelligence de renoncer à son jardin,  et qu’on a connu moins inspiré, comme à l’époque où il s’exerçait à caresser les 1789 piquants de son hérisson, on se demande pourquoi. 




jeudi 13 juin 2013

Plus de temps perdu

Dimanche dernier, un peu après midi. Elles sont où les lunettes ? 
Ne pas les trouver puisqu'on voit flou.
Partir faire les courses au supermarché du coin. Vite vite ça va fermer. 





Retour à pas lents avec le caddy, la cabine est là, 
- même pas besoin d'appuyer sur le bouton. 




Lundi, jeter un coup d'oeil sur sa montre.
Tiens, un papier sur la porte.
Penser à passer ce soir chez les gardiens pour récupérer un paquet.

mercredi 12 juin 2013


807 mots comme autant de lueurs

 
 807 fragments du langage comme autant de silences


 
 807 éclats comme autant de ciels 

dimanche 2 juin 2013

Insomnie.

   

                      Quatre heures. Tiens, mon insomnie se réveille. Je devais lui manquer. Elle se faufile sous mes paupières qui refusent de s’ouvrir pour voir l’heure qu’il est, conservant l’espoir que ce soit le matin, le vrai. Je me retourne dans le lit, cherchant la bonne position, celle qui me permettra de me rendormir et enverra l’insomnie se coucher. 807 aller-retours agités plus tard, je craque….Mes paupières s’ouvrent, constatent, se referment et j’entends l’autre garce se marrer. Elle a encore gagné.


                     Tangages, immobilité totale -respire par le ventre, détends toi-, expéditions vers cuisine, toilettes, mobile, page blanche qui le restera, télé qu’elle force à allumer les nuits où elle se déchaîne, idées ressassées en boucle… Je finis hagarde et m’écroule lorsque cette teigne daigne retourner sous mon lit en sussurant «Je te laisse, à demain».










                    Juste avant la sonnerie du réveil.