mercredi 30 novembre 2011

Déluge

Steve fit une pause dans ses calculs de mécanique Newtonienne. Par la fenêtre où était scotchée une petite photographie d’Alan Turing, toujours le même paysage de pluie diluvienne, six semaines en continu après le prochain week-end qui s’annonçait déjà gâché. Les barrages du Tennessee étaient déjà pleins et avaient commencé à déborder. Son regard parcourut distraitement sa chambre simple, l’homme au chapeau de Magritte, une estampe représentant l’exploit de Guillaume Tell, un dessin de Blanche Neige offert par sa petite sœur. La cinquième symphonie de Beethoven entamait ses premières notes lorsque son iPhone le tira brutalement de sa rêverie par un son strident d’alerte. En amont, à Florence, le vieux barrage Wilson, construit par les travaux herculéens de l’Army Corps mais miné par les infiltrations, venait de lâcher. Un calcul élémentaire, une vague immense, trente mètres de haut, soixante kilomètres de long, soixante-six millions de mètres cubes d’eau allaient se précipiter à cent kilomètres par heure, submerger et raser sa ville de Iuka dans trente-trois minutes. Steve déglutit.


L'ingénieur saisit son iPad et son MacBook, le vivarium et ses deux crotales, et sortit les poser délicatement sur le siège passager de sa vieille Buick Roadmaster. Quels trésors pouvait-il encore sauver pendant les minutes qui lui restaient ? Il attrapa ses antiquités son vieil Apple II, sa collection de vinyles des Beatles, ses couples de perruches et de hamsters, une couette, son bac de papiers administratifs, et une bible pour la lecture. Il se fit un confortable sandwich, attrapa le reste de crumble et une vieille bouteille de Manzana. Sur Battleground Drive et sous la pluie de plus en plus dense, Steve maugréait, ils étaient bien tranquilles à New York, loin de la fureur du grand fleuve ! Il fonçait seul dans sa Buick vers le sommet de Woodall Mountain. Le chemin caillouteux, abrupt et détrempé glissait et le dernier mile fut difficile à parcourir. À 807 pieds d’altitude, sur la plus haute montagne de l’état du Mississippi, Steve était en sécurité. La vague, il pouvait la voir venir de haut. Il s’installa pour dîner de son sandwich. Il avait sauvé sa pomme et tant pis pour les autres.

mardi 29 novembre 2011

Le monde éphémère de Rina Banerjee

Quelques perles, un peu de paille qui luit
Sans cette libellule rose
Arrimée au soleil,
Que m’en resterait-il ?



Exposition Rina Banerjee, Musée Guimet, 2011, © Clémence D., 807 ko

lundi 28 novembre 2011

Corps de lecteur

Je n’aime pas lire sur un écran mais je m’y habitue, on s’habitue à presque tout. Évaporée, l’odeur du papier, celle très particulière des premiers livres de poche. Un peu acide, un peu sucrée. Disparu, le froissement des pages dans le silence d’une chambre la nuit, frère paradoxal de toutes les frayeurs et d’une solitude douillette. Adieu saveur, adieu caresse ! L’abstraction gagne du terrain. La dématérialisation nous tente. Machines envahissantes, avez-vous donc une âme qui saccage notre âme et nous force d’aimer notre matériel et misérable quotidien ?


Je me souviens d’un certain rocher au bord du Gardon de Mialet en Cévennes qui m’accueillait dans ses creux lisses miraculeusement adaptés à la forme de mon corps et dont le surplomb était pourvoyeur d’ombre. De temps en temps, pourtant très occupé à recréer le monde du roman que je lisais, le réel faisait irruption dans mon univers mental : bourdonnement d’insectes, saut d’un poisson, rires d’enfants, mistral dans les cimes... 807 incitations à lever la tête, à reprendre possession de soi. Plaisir de poser un livre quand on sait qu’on va le reprendre après un bain dans une eau claire et jaillissante où brillent les paillettes de quartz soulevées du fond par le bouillonnement du courant.

dimanche 27 novembre 2011

Dans le nez

Nous débouchons dans une crypte où attend un croulant, barbe blanche, yeux de merlan bouilli, visage livide ; la coupe que tu lui tends débordante du sang d'un bélier sacrifié, il la porte à ses lèvres, à chaque gorgée sa peau reprend les couleurs de la vie, celle qui resplendit au soleil et déserte cet endroit ; l'ancêtre demande si tu es seul ; ça fait des calendes que, aveuglé par l'espoir, tu attends son oracle, il est sensé t'éclairer sur ton retour dans l'île ; en fronçant les sourcils, tu me fais signe de rester immobile et bouche cousue, tu me gaves et enchaînes : Il n'y a que moi ici, prêt à écouter tes visions... j'aperçois à gauche une galerie pavée de sombres intentions... au loin un fleuve souterrain plus obscur que le pot-au-noir qui avait failli engloutir notre embarcation... Du coup, nous plantons le vieux ; à grandes enjambées tu fonces dans la galerie ; lâchant la place pour l'ombre je rejoins le fleuve, y plonge ma main ; son eau trouble ne me dit rien qui vaille, je reste sur ma soif, on avait festoyé de fèves avant de descendre dans ce trou... Le croulant patiente dans la crypte ; tourmenté, avec un pet de travers, tu arpentes la galerie ; je t'observe, aimerais mettre les pieds dans le plat de vos salamalecs, ça rime à quoi tes mystères, cette façon de me demander de faire comme si je n'étais pas là ; dans l'ennui les clapotis du fleuve résonnent, 666 petites vagues, faiblardes pas comme celles de la mer qui me manquent terriblement... La crypte est déserte ; dans la galerie on attend, (peut-être un moment propice pour une prédiction de derrière les fagots ?), justement le vieux, je l'ai bien à l'œil, maladroit il longe le fleuve, est-ce qu'il te cherche, va-t-il te monter un bateau ? Je retourne dans la crypte ; dans la galerie tu médites (tu te mets le doigt dans la pupille en espérant qu'une prédiction puisse abolir le hasard, car rien ne nous détourne de notre destin erratique et au royaume des aveugles, tu n'as plus rien d'un roi...). Crypte et galerie vides ; au bord du fleuve froid où cent quarante et un clapotis refluent, je réalise que je ne sais compter au-delà de 807, le vieil aveugle, toi et moi ne te quittant plus d'une spartiate ; sans vouloir jouer les Cassandre comme l'impression que votre entrevue va tourner en eau de boudin ; œil pour œil, tu vas payer le fait de me dissimuler ; trop de choses retenues, je lâche un vent retentissant, oui je pète, l'ancêtre prend un air dégouté et aboie : Traître, mais qui est avec toi ?



Musique originale composée par Xavier Brillat et Michel Gaspérin, tous droits réservés.

samedi 26 novembre 2011

ICD-10 G47.4

Aujourd'hui, j'avais pourtant 807 excellentes questions à poser à Robert A. Bourrik. D'où lui vient l'inspiration, ses influences, s'il était une plante, etc. Mais impossible de terminer l'interview.


vendredi 25 novembre 2011

Anniversaire

Toutes nos entreprises, vaines ou essentielles, croisent un jour celles que d'autres ont initiées dans le passé ou initieront dans l'avenir, petites ou grandes, c'est l'un des corollaires de l'effet papillon. Ainsi, la petite affaire qui a démarré au Riau le 29 octobre 2008 croise aujourd'hui l'aventure à laquelle Franck Garot, avec la complicité d'Éric Chevillard, a donné le coup d'envoi le 20 janvier 2009, et croisera demain ou après-demain celle qu'a mise en route Roger Federer le 30 septembre 1998 à Toulouse aux dépens de Guillaume Raoux. Et tandis que le roi du gazon songe secrètement au déclin et que le logicien fanatique de la Roche-sur-Yon s'incline une fois encore sur les brins d'herbe de son jardin, je dépose ce billet et m'envole, tourne le dos à ce petit monde, cueille quelques fleurs et m'éloigne de ce point de conspiration, inexorablement, heureux d'en avoir été.


Meuble le temps

Ce matin là ne venait en rien
Un lit et une chaise
Trois raisons de glisser
Je ne faisais que regarder
À décompter le temps
Deux ans deux mois et deux poussières
807 jours à m’entraver


jeudi 24 novembre 2011

Football

Je marche dans Paris. En moi, une douleur très ancienne que rien n'apaise. Ni la beauté de la ville ni la joie de mon corps qui s'élance.


Je reconnais les rues où tu m'as embrassée, celles où tu as pris ma main et où j'ai cru que tu m'aimais. Et je voudrais shooter dedans, les envoyer valdinguer, qu'elles disparaissent, et toi avec, à tout jamais hors de ma vue, si loin, au 807e ciel.

mercredi 23 novembre 2011

Les communautés de l'arbitraire

Éric Chevillard aura été l'un des premiers héros des pelouses à succomber à son charme, Roger Federer rejoindra la communauté peu après. Mais ne nous méprenons pas, d'autres avant eux y avaient succombé, d'autres après eux y succomberont. Autour du nombre sacré s'étaient en effet donné rendez-vous le corps et l'esprit, les poètes et les jongleurs, les pelouses et le bitume, le tout et le rien, les riches et les pauvres, Dubaï, Rome, Jérusalem et Toulouse, ce qui avait commencé depuis toujours et ce qui viendrait plus tard. C'est ainsi qu'est née, succombant à son charme, la première des communautés de l'arbitraire qui ont été appelées à fleurir dans les siècles à venir.


mardi 22 novembre 2011

aigrette

elle ne sait pas vladje. où elle va, elle ne sait pas. mais elle sait que quelque chose suit son cours. il y a la pluie, une sorte de. dedans. il y a la jonchée crissante, version ocre jaune, dehors. il y a la grande bête, son rose un peu bave vers la bouche, une sorte de. on dit la gueule, quelqu'un dit. il y a ces yeux derrière les barreaux. il y a les banques préempteureuses pour terrains à construire des immeubles et déraciner le grand orme. quelqu'un dit majestueux jusqu'à la canopée. il y a le bleu mésange qui se lance comme cailloux d'une branche l'autre du tilleul


la veille le verdict. ça fomentait depuis du temps. une couvaison maybe. c'était d'abord resté calme, dans un fond, aigrette de pissenlit ou d'asclépiade. sorte de. rien d'épais, de palpable, de visible. mais quelque chose était dans l'œuvre. après que 807 fois le temps eut fait tourner ses astres, ça apparut. on déclara qu'il fallait sortir les couteaux. on crut même voir voler ciseaux des filandières

lundi 21 novembre 2011

Premier congrès/Eglefin fumé

Les éléphants s’installent toujours au premier rang dans l’amphi Poincaré : Franck le polygraphe, Joachim le jeune chenapan, Camille la bombe atomique, Magali la bayardère de Carnaval, Catherine l’isotope, Hélène le cyclone, Joël le vivisectionniste, Kzerphii le brontosaure, Laurent le gibier de potence, Michel le naufrageur, Xavier le pyromane. Aucun ne manque les salutations traditionnelles, chaleureuses et zélées, sourires naturels et forcés, traduisant la coopération amicale et la compétition féroce entre faux frères du parti. Le temps des interventions est décompté très précisément par un Mamelouk paranoïaque et mégalomane.
Le premier tribun, le fameux capitaine Eglefin, penché par-dessus le pupitre avec sa casquette de marin bien fixée sur ses cheveux fous, entame son discours au porte-voix en postillonnant : « Bande d'emplâtres, bande de voleurs, bande d'ectoplasmes de tonnerre de Brest, esclavagistes, que le diable vous emporte !.. » Le ton est donné. Le discours ferme et coloré se poursuit au rythme immuable d’un mot toutes les secondes pendant treize minutes. L’homme reprend son souffle : « ...protozoaires, cloportes, pyrophores, faux jetons à la sauce tartare, sapajous, vers de terre, crétins des Alpes, vauriens, scolopendres, schizophrènes, marins d'eau douce, cornichons diplômés, marchands de guano, huitcentseptophilistes ! » vingt-huit secondes de paroles finales pour un whisky bien mérité.
Le Mamelouk lance son signal : une seconde et un mot de trop.


Un silence glacial s’installe dans la salle. Puis une rumeur enfle soudainement dans les rangs de l’assistance, les bandes de bachi-bouzouks, d’ectoplasmes, de canaques, de sauvages et de voleurs s’agitent frénétiquement, hurlent, montrent du poing et insultent l’hérétique. Le premier rang bondit et se scinde en deux. Les dignitaires se précipitent sur l’estrade par les escaliers latéraux, bouchant toute issue de secours. Attrapant, frappant, renversant et piétinant le malheureux orateur, ils lui arrachent la barbe, l'aspergent de son alcool, l’enflamment. Une torche humaine jaune et rouge illumine l’amphi, la salle entière regarde avec joie et rage cet hérétique de capitaine Eglefin fumer et ne laisser qu’un tas de cendres et une pipe cassée.
Les éléphants retournent s’asseoir, le calme est revenu dans l’amphi. Les orateurs suivants sont prévenus : le congrès sera difficile.

dimanche 20 novembre 2011

La secte

Deux ans déjà que je suis prisonnier de cette secte de graphomanes, encagé dans ce réduit aux murs tapissés de livres, 807 exactement, portant ce même numéro 807, quel que soit l’éditeur ou la collection. Tout juste si mes geôliers m’apportent une ration suffisante pour survivre, le plus souvent une bouillie infâme de pâtes alphabet gonflées dans un brouet clair. Pour boire, il faut que je supplie et je n’obtiens mon verre d’eau qu’à condition de réciter sans me tromper les livres qu’on me force à lire. Toutes ces lignes accumulées forment un monstrueux hypertexte où mon esprit se perd. À peine, me souviens-je des titres qui s’enchaînent hors de toute cohérence stylistique. Voyez cette liste folle (et il m’en reste encore 793 à ingurgiter avant ma libération !) : Le pari d’un chirurgien de Marion Lennox – Ed. Harlequin / La chute de Constantinople d’Edward Gibbon – Ed. Payot / Télé poche du 29 juillet 1981 / La fille des marais (anciennement titrée : Bayou, bayou) de Charles William – Ed. Rivage Noir / Huis clos, suivi des Mouches de Sartre – Ed. Folio / La machine de Balmer (SF) de Claude Veillot – Ed. J’ai lu / L’éternel mari, pièce de Victor Haïm d’après Dostoïevski – Ed. de l’Avant scène / Jean-Christophe (tome III – l’adolescent) de Romain Rolland – Ed. Livre de Poche (le surveillant n’a pas voulu m’apporter les neuf autres tomes qui ne portaient pas le bon numéro) / Ma vie chez les indiens de Mary Campbell – Ed. Livre de poche jeunesse / Les dieux de l’espace (SF) de Franck Dartal – Ed. Fleuve noir / Le numéro du 14 janvier 1960 des Lettres françaises où l’on parle d’Aragon et de Michel Butor / Le Voleur, journal pour tous du 20 décembre 1872 / L’Auto Journal du 15 juillet 2010 consacré à la Peugeot 508 (une erreur de casting, probablement) et enfin last but not least, Le volume 3 (sur 5) des Fondements de la critique de l’économie politique de Karl Marx aux éditions 10/18.


Mais, silence ! Il me reste 150 pages à apprendre par cœur et j’entends les pas du Taulier dans le couloir.

samedi 19 novembre 2011

Élans

Se caler jusqu’à sentir la corde de la balançoire incrustée sur le côté droit, la petite sœur en prend de la place, se soulever en reculant en arrière sur la pointe des orteils compressés dans les chaussures cirées, prendre une grande inspiration et de l'élan en sautillant pour bien se recaler les fesses sur le rectangle de bois, tendre les mollets pour que le mouvement gagne, l’autre sœur pousse fort à chaque retour, sentir le dos vibrer et le sol s’éloigner, tendre un maximum les jambes cagneuses pour fendre l'air avec plus d'élan.


Tout est dans l'élan, il se gagne à la tension du jarret dans une bascule précise suivie par une projection de tête en avant, gagner de la vitesse qui fait crier, pluie de sueur sur les yeux, c'est parti l’oscillation perpétuelle qui rapproche du sol autant qu’elle en libère, vertigineusement, emportant au moment déployé ou l'on se trouve piaillantes, allongées, les dos soutenus par l'air. La balançoire va-t-elle faire un tour complet, va-t-on se retrouver la tête en bas comme les cosmonautes en serrant les cordes, s’emmêleront-elles furieusement là-haut au plus haut des cieux. 807 va-et-vient pendulaires de plus en plus hésitants, et l’ennuyeuse verticalité immobile, qui revient.

jeudi 17 novembre 2011

Récolte

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle écrivait Prévert. Foutaises. Moi je les ramasse à la main, à pleines poignées, genoux dans la terre froide, plongeant mon visage dans la masse humide et craquante avant de le relever vers cet arbre que j'ai tant aimé. Je crois avoir versé autant de larmes qu'il a perdu de feuilles.


mercredi 16 novembre 2011

Temps long

Souvent, il a l'impression de la reconnaître : à un trois quart dos ineffable, une nuque nacrée, un trotte menu de bas à couture, une main baguée qui règle le rétroviseur d'une 807. Mais ce n'est jamais elle. Et ce n'est plus lui.


Il habite dans la rue, maintenant.

mardi 15 novembre 2011

Tristounette

Clairette, un peu pompette, rouspète, elle se répète dans sa tête huit cent sept défaites à l’odeur aigrelette. Qu’importe l’amertume, elle cherche l’écume. Elle préfère avancer et s’aventurer à l’aveuglette au cœur de la tempête. Suivons-la...


lundi 14 novembre 2011

Flaques

807 petits cailloux que j'avais laissés en main
adoucis en galets pour ne plus nous blesser
jeux d'enfants qui font les reflets d'eau
807 petits mots que j'avais lâchés au vent
arrondis en murmures pour ne plus nous quitter
bruits de rires qui font le doux du temps
807 bris de larmes que nous ne séchons plus
abrasés en hoquets pour ne plus nous entendre
brins de rien qui font les miroirs vides


dimanche 13 novembre 2011

totem

alors, vladje, qui avait tant plié le genou à brûlure d'encens au fond des orgues, plurielles délices et ors, considéra la situation le temps d'un vol de mésange. une cloche sonna du côté de la gare. où trouver de quoi continuer en souplesse. la douceur du sol et des herbes l'attirait. il y avait aussi quelques phrases. elle lança la décision dans les airs. sous des rayures avionesques au ciel, ce fut fait.


la veille, on avait vu un mercenaire tourner de longues bandes de coton autour de deux poteaux de bois. d'aucuns parlaient de performance. d'autres disaient non, ce n'est pas sa vie qu'il met en jeu. il s'appliquait à superposer les couches, enroulées alternativement de droite à gauche et de gauche à droite et montait méthodiquement jusqu'à tout recouvrir. bientôt ce furent comme totems, dressés blancs dans l'évidence. il ne s'était trouvé personne pour compter les bandes. mais quand quelqu'un proposa le nombre 807, il en fut un pour dire que les brûlures n'étaient pas si aiguës

samedi 12 novembre 2011

Hanoï 4

Refaire le parquet du séjour de la grand-mère : rien de plus simple, déposer le lourd canapé et le grand tapis afghan dans le bureau adjacent, mais là je suis vraiment à l’étroit, il faut tout remettre d’aplomb dans le bureau sur lequel traîne un vieux jeu de Tours de Hanoï avec seulement 4 disques restant, sinon c’est râpé pour mes allergies à la poussière. Et puis ce putain de minou vicieux, il n’a rien d’autre à faire que bouffer, dormir dans son énorme couffin sur le canapé et le défendre toutes griffes dehors dès qu’il me voit me rapprocher. Et 8,07 kg de chat, ça donne à réfléchir. Mais aujourd’hui, il ne va pas gagner à ce jeu-là, faut pas me chercher tous les jours. J’enfile ma tenue de combat, gros bleu de travail, chaussures et gants de protection.


J’agite quelques croquettes sous le nez du tigre, je pose l’écuelle dans la cuisine, et le morfale me suit. Je déplace vite fait le couffin dans le bureau, mais le rusé félin m’a entendu : il se précipite vers sa couche et se love dedans. J’en profite pour pousser le canapé dans la cuisine. Impossible de mettre le tapis dans le bureau à cause du chat maintenant. Je file un coup de pied dans le couffin : abasourdi, le sale chat déguerpit en miaulant dans le séjour. Je chope le couffin et le dépose fissa sur le canapé. Dès qu’il me voit revenir dans le séjour, le chat s’échappe dans la cuisine en couinant. J’attrape le lourd tapis et le positionne difficilement dans le bureau en poussant les autres meubles contre le mur. Je promène l’écuelle sous le nez de l’imbécile à quatre pattes et l’attire dans le bureau. Pendant qu’il se remplit de bouffe, je pose son couffin dans le séjour, et je saisis le canapé en beuglant sous l’effort. Terrorisé le crétin de chat se barre et se réfugie dans son couffin. Enfin tranquille je pousse péniblement le canapé sur le tapis. Je réapparais dans le séjour, le putain de chat s’enfuit vers sa gamelle. Du coup, je ramène tranquillement le couffin sur le canapé, et retourne dans la cuisine pendant que cet abruti de chat file entre mes jambes vers son refuge douillet. Quand j’aurai fini le parquet, j’enfermerai le chat dans la chambre pour tout remettre en place.

vendredi 11 novembre 2011

Friables frontières

En arrivant à Kiev, au Perlina Dnipra Hotel, Noémie a eu le temps de repenser aux derniers mois. Quatre heures d'avion, pour survoler l'affaire avec comme point de départ l'arrestation d'une petite frappe qui tabassait ses putes russes. Un réseau que son père et elle surveillaient autour de la porte Maillot. Filatures tranquilles, clichées habituels des tapineuses. Mais un matin, la grande péronnelle sarde est revenue avec un œil au beurre noir et un paquet déposé d'une main tremblante, avant qu'elle s'évanouisse dans la nature... Un paquet dont le contenu les avait horrifiés et qui se trouvait au fond de son Balenciaga et pesait aussi lourd en grammes que sur sa conscience. Début de la chute de son père et fin de son insouciance... Il contenait des centaines de photos d'enfants debout dans des pièces blanches. Chacun avait son double à terre, gisants blafards comme une matérialisation de leurs âmes. Derrière, un homme fixait l'objectif, son père a blêmi : Otmar von Verschuer. Il prononça son nom sans hésiter. Cet homme avait disparu dans les années 70 en Allemagne. Comment peut-il apparaître sur ces photos récentes alors qu'il a disparu depuis 43 ans. Noémie fixa la bouche de son père :
— à Berlin en 1938, ma mère, Leni, l'a rencontré, il lui a proposé d'être sa secrétaire. Elle aimait embellir la vie des gens, elle lui avait trouvé un air savant et remarqué que ses brodequins étaient mal cirés, avait accepté en jurant de ne pas le décevoir, d'être fidèle les yeux fermés — c'était dans l'air du temps, elle s'était attaché à cet homme de pouvoir. Elle quitta le 807 Nachtstrasse pour emménager chez lui et découvrit assez vite la façade de sa gentillesse, la friabilité de ses décisions ainsi que la constance de ses coups.
Une plus grande honte encore l'envahit quand elle tomba enceinte, avec en épilogue une double naissance.
Elle mourut quelques jours plus tard, les cloches annonçaient le grand chaos. En abandonnant, à Otmar, ses deux fils...


jeudi 10 novembre 2011

Sourde et mouette

À l’horizon, l’océan fermentait sous la quille des navires silhouettes, îles de métal posées sur les brisants. S’asseoir sur un rocher, ne plus bouger. Attendre. Profiter seulement de la douceur de ce mois d’octobre, de l’odeur du varech et des lubies du climat. Bâillonner le langage intérieur qui babille en permanence. Ne plus penser. Étouffer ce bruit de fond parasite qui pervertit toute spontanéité et renforce le sentiment de solitude. Atteindre un état végétatif, le temps de générer une nouvelle vie, sans mémoire. Sourde au grouillement de l’âme.


Alice concentra son regard sur la ligne de vagues qui frappait les roches. Elle se laissait bercer par le rythme de la marée en essayant de laisser filer sans les retenir les 807 pensées qui lui venaient, souvenirs ou questions obsédantes. Incapable d’endiguer ce flot intime, elle tentait au moins de ne pas s’y noyer, de se laisser porter, de n’être que sensation hors de toute conscience, comme les nuages indifférents qui filaient au loin. Elle fut un court instant la mouette frôlant la crête des vagues ébouriffées par le vent, portée par les courants ascendants, ombre violette sur le gris vert de la lande. Elle survola à haute altitude un chalutier qui revenait au port, ses hélices tissaient des dentelles blanches et vertes à son arrière. Vertige. Revenant brutalement à la réalité et prise de panique, elle battit des ailes si vite que son cœur explosa en plein vol.

mercredi 9 novembre 2011

Robert A. Bourrik

Robert Aka Bourrik les a parcourues ces routes, toutes. Et depuis longtemps. C'est pourquoi il ne bouge plus de cette épicerie dans laquelle il vit désormais. Il a, dit-il, « atteint un but, fortuitement ». Dans cette épicerie il ne vend rien, les étagères sont vides, le sol poussiéreux, les vitres pas nettoyées depuis plusieurs années. Derrière le comptoir sans caisse enregistreuse, assis dans un fauteuil à bascule, la botte calée sur une caisse retournée, il a chanté, en exclusivité pour les 807, un de ses vieux tubes.


mardi 8 novembre 2011

En grippe

Ce fut une longue fièvre qui dura des jours et des jours. Les murs de sa chambre, tendus de tissu ont nourri ses cauchemars de harpies griffues et ailées hurlant son nom. 807 fois il a appelé sa mère, qui n'est pas venue. Guéri, il a exigé qu'on arrache cette horreur et qu'on peigne les murs en blanc.



Raoul Dufy. Textile Design

lundi 7 novembre 2011

Projet littératuro-immatriculé (et chantonné)




Une bonne idée, oui, une très bonne idée de commencer par une photo, une photo qui serait le facteur déclencheur du projet, et les idées viendraient toutes seules.
« Il faisait nuit, mais avec l’éclairage, on pouvait voir jusqu’au flanc du coteau, en s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes. Dans la foulée, Marie-Jo s'en est allée inhaler les vapeurs d'essence. Encore heureux qu'il ait fait beau, et que la Marie-Joseph soit un bon bateau. »
Un cut-up créée uniquement à partir de paroles de chansons (c’est ce que voulait la photo). Et les prendre un peu au hasard, en les suivant, en accrochant la suivante à ce que la précédente racontait.
Ça pouvait emmener n’importe où cette histoire. Un projet assez insistant et foutraque pour savoir se tenir debout et claudiquer en même temps dans toutes les directions. Enfin, c’était compliqué à expliquer, mais ça faisait sens, bizarrement.
Combien de chansons utiliser ?
Bien sûr, 807. Un but difficile à atteindre, mais d’une logique !

dimanche 6 novembre 2011

Bonne année

La vieille tourne autour du pâté de maisons, marchant sans but sur ses jambes enflées, poussant un vieux Caddie dans lequel elle entasse chaque jour un peu plus d'objets disparates. Kilomètre après kilomètre, elle enchaîne les tours, un coup par la droite, un coup par la gauche, horaires indécis, on peut même la voir circuler la nuit. D'ailleurs, à chaque nouvel an, à partir de minuit, elle marque une pause devant chacune des quatre-vingt maisons du lotissement des Bois jolis et extirpe un objet de son Caddie pour le déposer devant les portes closes. Parfois une vieille poupée désarticulée, parfois une carcasse de poulet, parfois un crâne humain, parfois une boîte à musique, un diamant ou une pépite d'or. Elle marque ensuite chaque porte d'un sept à la craie noire. Elle repart pour une nouvelle année, légère, le Caddie vide. Ils en tous peur mais sortent malgré tout découvrir le cadeau magique ou empoisonné qu'elle leur a laissé.


Elle les tient en son pouvoir, la sorcière édentée qui leur fera la peau à la première occasion.

samedi 5 novembre 2011

corpus

une contracture dans la cheville tentait d'aspirer des mécanismes de conscience, de jugement, de perception. un centaure attendait au fond de la cage et dans le paysage. le pic-épeiche tapait son soûl dans le tunnel. des frémissements annonciateurs coulaient dans des couloirs terre de sienne brûlée. vladje cherchait quiétude et moyen de se soustraire. était-elle sous définitive influence dans un glissement aux bords des mondes. pensée, sensibilité, parfums, fleurs, oiseaux allaient-ils se pixeliser en éclats bientôt hors de sa portée


la veille on avait distribué, pour recyclage, les volumes de l'encyclopedia universalis. quelqu'une avait reçu le corpus 18 : phéniciens – proclus. elle ouvrit à l'aléatoire les pages du volume. (elle entamait travail de dessin-collage-peinture à contraintes. ce travail devait être exposé en triptyque, dimension : 21 x 29,7, sur cinq kakemonos de 2m10 x 50, et devait utiliser comme support, ou dans l'espace d'un autre à sa fantaisie, les pages de la dite encyclo). ce fut la p. 848, article poussin. puis, elle fit un écart à l'aléatoire et choisit la p. 48, en clin de pierre ménard. puis, elle reprit à la fortune. ce fut p. 174, article andy wahrol, p. 171, article muybridge, p. 257, article physique, p. 323, article piero della francesca, p. 651, article polymère, p. 289, planche philatélie, p. 289, article phytosociologie, p. 493, article plotin, p. 570, article pollock, p. 670, article polyphonie, p. 784, article portugal, p. 814, article potamologie, p. 672, planche IV, porcelaine, p. 752, article portrait, p. 960, planche poterie, p. 480, article pliocène, p. 664, article polynésie française, p. 859, article la leçon philosophique, p. 370, article pincevent, p. 371, article pindare, p. 466, article platon, p.336, article maladie des pierres, p. 479, article pliocène. on se demanda pourquoi elle s'arrêta après que 25 fois l'univers s'encyclopedia. pas une seule fois ne s'ouvrit la page 807. soudain, une inconnue s'approcha, déplaça la cheville d'une page, et le monde revint dans ses marques

vendredi 4 novembre 2011

VDM

J'avais absolument besoin d'un balai brosse, de sacs poubelles et de serpillières. Le seul (bip) du coin ouvert entre midi et deux fera l'affaire. Tu parles, ce jour-là, ce (bip) fêtait son ouverture. Animations à tous les rayons, rayons surpeuplés, le souk, le bruit, les ballons, les cotillons, le traquenard. Je n'ai pas vu l'animateur foncer droit sur moi et me flanquer son appendice/micro sous le nez.
– Ah, madame, je sens que vous le savez et que vous allez repartir avec ce porte-clés gracieusement offert par (bip) ! Combien y a-t-il de petits pois dans une petite boîte de petits pois ?
Désarçonnée, n'ayant pas le temps de compter les comédons de ce nez brandi à hauteur du mien, j'ai hoqueté au pif.
– 807.
– Plus, madame, bien plus !
Et le bonhomme au grand blair intrusif de se tourner vers d'autres balai brosse/sacs poubelle/serpillières plus perspicaces et consommateurs obsessionnels du petit pois.
Dépitée de ne pas avoir gagné un porte-clés (bip), j'ai raflé des bonbons gélifiés dont je me suis empiffrée en poireautant aux caisses (ceux dont les noirs sont les meilleurs et se battent en duel dans le sachet). Pour me consoler de ce (bip) de (bip) de porte-clé de (bip) passé sous le nez, j'ai visualisé un chapelet de 807 bonbons gélifiés noirs.


J'ai eu un haut le cœur et je suis rentrée faire le ménage.

jeudi 3 novembre 2011

Chats en Ré

Nous avons tant marché. Les enfants s'agglutinaient aux grilles. Seuls les chats, indécis, semblaient n'y prendre garde. Une à une, les 807 ruelles qui penchaient vers la mer, nous saluaient avec leurs fleurs. Je ne savais pas encore s'il fallait en rire ou pleurer. Et j'avais mal à la cheville.


mercredi 2 novembre 2011

Dure réalité

Comme une actrice, elle ne vivait que pour plaire, arrivait toujours sur scène avec des retards de diva. Or, ce matin-là, elle souffrit pour la première fois des atteintes de l’âge. Son miroir lui renvoya une image cruelle mais juste : celle d’une pétasse bouffie de cocaïne qui valait plusieurs milliards de dollars. Les questions s’abattaient sur elle comme 807 gifles.


Le soir même, elle se présenta sur les planches à l’heure et à la façon d’une coupable qui se constitue prisonnière.

mardi 1 novembre 2011

C'était les 807

C'était chaque jour vérifier la messagerie du blog, puis une seconde, voire celle de Facebook, car les contributions venaient de toutes parts. C'était lire, relire, accepter, refuser, corriger, traduire, parfois récrire. C'était répondre à tous, toujours. C'était aussi échanger, donner et recevoir, parler style, règles. C'était découvrir de nouvelles voix, de nouveaux horizons, de nouveaux projets. C'était faire des erreurs, sûrement. Mais c'était aussi rencontrer certaines de ces voix dans le réel, pour un déjeuner, un événement. C'était se dire qu'on ne respirait plus, qu'il fallait arrêter, et on arrêtait, et on recommençait, différemment, certes, mais on recommençait tout de même, et on arrêtait de nouveau, pour mieux recommencer. C'était se demander pourquoi cette addiction, pourquoi perdre un temps précieux parce que rare, se dire néanmoins qu'on continuait d'apprendre. C'était annoncer le programme, les changements, les suspensions faute de propositions, faute de temps. C'était voir les jours passer et le stock diminuer, jusqu'à écrire à la dernière minute pour que le flux continue. C'était retravailler des images pour qu'elles rentrent en 520 de large, trouver un lecteur pour écouter le son. C'était composer de la musique, l'enregistrer. C'était prendre des photos qu'on utiliserait et qu'on n'utilisera jamais. C'était se connecter à l'interface du blog, de la maison, de New York, Londres, Bangkok, Chişinău... C'était corriger après publication des fautes de participe passé qu'on avait oublié voire oubliées, ou régler un problème de programmation, l'objet publié trop tôt ou trop tard. C'était tenter de nouvelles choses, sur le fond, sur la forme, tenter des pastiches comme celui-ci, maquiller des fêlures et les donner à lire, ou au contraire inventer une histoire. C'était publier un livre, puis en préparer un deuxième. C'était envisager une lecture publique. C'était accepter tout le monde, du moment qu'il ait quelque chose à dire, sans aucune discrimination quelle qu'elle soit. C'était rester seul maître à bord, taulier malgré soi, assumer ses choix, ses erreurs. C'était certains jours haïr ce nombre, violemment, le considérer comme un triple six. C'était s'étonner que ça tienne toujours, que ça intéresse encore, ne pas comprendre ce que ça signifie, et se demander jusqu'où ça irait dans l'hypothèse improbable que ce chemin mène quelque part. C'était enfin ne pas savoir comment remercier chacun, participant ou lecteur.


C'était mon 100e.