lundi 31 décembre 2012

Le cimetière de Rossenges


31 octobre 2009
















Google Earth, 31 octobre 2009 | élévation : 807 mètres


Le 29 septembre dernier il pleuvait des cordes sur Rossenges, il m’avait fallu écourter ma visite. J’avais eu beau ce jour-là tourner sur les hauts du hameau de l’Abbaye, le cimetière semblait bel et bien avoir disparu. Pas grand monde, une cinquantaine d’habitants pour me renseigner, je devais m’être trompé ou les cartes au 25’000 dont notre administration fédérale est si fière avaient manqué le coche ou de réaction. Que les morts ne soient morts que pour un temps, ici, au coeur de la Broye, me procurait une curieuse et nouvelle impression, j’ai quitté la colline songeur, s’il y avait un endroit où les cimetières devaient ne pas mourir, c’était bien ici. J’ai repassé dans le coin il y a une paire de jours, il faisait beau, un vieux de la commune m’a raconté : le cimetière a été désaffecté il y a quelques années parce que les gens n’y enterraient plus leurs morts, qu’ils préféraient Moudon, son cimetière et son four crématoire, c’est moins cher. Sans compter que cette décision simplifiait le travail des paysans, pensez donc, cher Monsieur, les tracteurs devaient jusque-là tourner autour des morts, dans notre métier le temps compte, sachez-le, ce cimetière était plus embêtant qu’une verrue.  Je me décide aujourd’hui à jeter un coup d’oeil sur Google Earth, le satellite a rendu visite à la commune de Rossenges le 1 août 2012, il n’y a déjà plus de cimetière. Le menu Affichage | images historiques m’invite remonter le temps, le 26 mars 2012 – les ombres des toits laissent penser que c’était le matin – le cimetière n’a pas réapparu. C’est seulement à l’occasion de son passage le 1 août 2009 que le cimetière trouve sa place entre prés, pommes de terre et blé. Rossenges a donc rempli les conditions pour la désaffectation de son cimetière qu’énumère le règlement 818.41.1 du canton de Vaud sur les inhumations, les incinérations et les interventions médicales pratiquées sur des cadavres du 5 décembre 1986. La désaffectation des cimetières est en effet du ressort des autorités communales s’il s'est écoulé moins de trente ans depuis la dernière inhumation, à moins que le département ne donne son accord. La désaffectation est portée à la connaissance du public au moins six mois à l'avance, les objets et monuments garnissant les tombes sont repris par les intéressés. Les ossements humains aussi, si les proches le demandent, mais à seule fin d'incinération. Sinon les ossements resteront en terre, ou la commune les placera dans un ossuaire, ou elle les incinèrera. Rien ne se perd rien ne se gagne. Pas sûr cependant que la piscine creusée par l’un des habitants de Rossenges à la pointe nord-est de la commune ne remplace avantageusement le cimetière de Rossenges.





















Google Earth, 1 août 2012 | élévation : 807 mètres 

dimanche 30 décembre 2012

mois




tu vois on se fatigue avec le temps
les rides tirent la peau se détend




la pluie dehors nous ressemble
joues en façades nuages en larmes
on voudrait s'arrêter enfin prendre le temps





et couper court aux 807 armes
de nos 67 ans

jeudi 27 décembre 2012

La déviée.

C’est une maison, en bord de tout.
Le chemin n’a pas de nom, juste un numéro, le 807.
Secouée par les vents. Dorée par le soleil. Usée par son histoire. Comptée par le temps.
Domptée par son silence.
Elle est là. Impatiente. Enervée.
En prenant son café, déjà ce matin, elle s’est tâchée le pantalon. Agacée. Pieds nus, elle a glissé, la chatte sur ses talons, vers la terrasse. Le jour ne se faisait pas prier pour se lever, avec son insolente lumière.
Les deux mains, posées bien à plat sur la table en fer forgée, froide et humide encore, ses yeux en vague, son sourire en coin, elle y pense.
Encore.



Au loin, sur le muret, la chatte lui lance un dernier regard, avant le saut sur le sable, de l’autre côté. Surement quelques mouettes à chasser, certainement quelques poissons à narguer.
La matinée sera longue.
Elle raffole de la discrétion de la maison, son apaisement la reconstruit.
Comme une méridienne sur laquelle on s’allonge en douceur.
Une câlinerie que l’on s’offre.
Un temps.
Un souffle.
Une déviation, empruntée au hasard d’un souhait.
Ce choix est toujours à l’heure.
Excessif de lui-même.




Elle y arrivera.
Elle tient toujours ses promesses, même pendant les nuits.
Surtout le jour annoncé de la fin du monde.
C’est maintenant.
 C’est demain.

mardi 25 décembre 2012

De l'espionnage et du scandale

                             Tout va bien pour les 807, merci, qui infiltrent les jury de prix littéraires et les télévisions d'état tout en jouant au piano une musique hypnotisante et inquiétante avant de conclure par une énigmatique phrase sur l'humain qui vous fait trembler jusqu'à l'ADN.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Mais tout semble être au plus mal pour Éric Chevillard dont le plagiat éhonté de Tromboline et Foulbazar, Le bébé bonbon, vient d'être démasqué par nos services secrets, mais nous ne pouvons rien dire de plus ici sous peine de dévoiler une partie d'une partie d'une des intrigues de son dernier livre L'Auteur et moi.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         Et un jour, moi aussi je serai lu par Nathalie Dessay

vendredi 21 décembre 2012

21 ans



on s'est épousé


on a eu 807 enfants


on a divorcé

jeudi 20 décembre 2012

1509. Flamme


Comme un mois de décembre sans fin
Tunnel éternel
Où est le jour ?


Demain peut-être
Ranimer la flamme
Menant vers l’oubli de ces nuits infinies


Se donner 807 raisons d’espérer


mercredi 19 décembre 2012

1508. Journée


                 lorsque la place se vide ce sont les rues qui s'emplissent et le bruit et les fumées d'envahir la ville comme pour accompagner



                 lorsque les rues se vident la ville suit et le club 807 de briller seul toute la nuit


                 au matin tout reprend ballet incessant 

mardi 18 décembre 2012

Appétit de tout

                  Attention, des contrôleurs montent dans notre rer !
Pique encore un portefeuille avec attention avant de jouer la fille de l'air.
Retournons prestement au campement faire un bilan
et décider ensuite dans quel restaurant claquer notre argent.
J'ai appétit de tout et adore le foie gras,
sa douceur salée me met dans milles états.
Dérobe maintenant avant qu'on ne nous mette nus.
Dérobe et filons avant la garde à vue.



                  Qu'est-ce qui gargouille et qui enfle beaucoup ?
Ma faim augmente fort et je salive comme un fou.
Car toi mon gars il faut que tu gagnes mieux ta vie
que tu te fasses beau, pour que tu fasses envie.
Ma vue perçante m'alerte et nous devons partir
dans ma roulotte un trésor refuse de dormir,
mes frères le gardent chacun à leur tour.
Après toi eux aussi ils sont mes amours.




                  Auprès du feu nous nous retrouverons,
dans mes bras nous nous pelotonnerons,
le rythme du vent chantera dans nos corps,
divin enchantement et nous dirons 807 encore…
Et sais-tu que le rêve t'irait à ravir ?
Pour l'autel, il est sur que c'est la solution !
Vivement qu'arrive ce jour où nous unirons,
main dans la main ensemble nous chaparderons !
 

lundi 17 décembre 2012

"formule triptyque, début, milieu, conclusion ou conclusion, milieu, début"


                       
                       le vélo dans l'entrée pas d'ailleurs pour le ranger elle n'appréciait pas pourtant c'était tous les soirs comme le matin il était là posé contre le mur de l'entrée gênant à peine le passage de son chien


                       en voiture elle était malade si ne conduisait alors toujours on marchait et moi détestant ça je lui avais acheté un vélo il était doré c'est pour toi mon trésor et dessus elle n'est jamais montée


                      on avait mis de côté on ne voulait pas emprunter une auto à nous c'était ça l'idée et partir voyager les routes les autoroutes inlassablement parcourir découvrir du paysage du monde faire le tour            

vendredi 14 décembre 2012

1504. Baston.

           

                         Elle baisse son foulard. Mains en avant Clémence lui fonce dessus, elle attrape le dos de son blouson, Olga se dégage, son gros sac tombe, corps a corps... Elle galope, se précipite dans la tente, se fond dans la foule,  le blouson sombre accroché à ses mains, Clémence fait une mine dépitée... Bastonerre: - Mais fallait la tenir, bien l'agripper. T'es manchot ou quoi ?
-Manchote à la limite. C'est toi qui crains. Tu es complètement à  la masse ces derniers temps, t'aurais pu la chopper quand même.
- N'importe quoi, et ce sac, c'est pas le sien ? 



                        Ils fouillent les poches du blouson, l'intérieur de la besace kaki, ils en sortent des boulons, deux bombes lacrymos, ils étalent tout par terre. Clémence: - Vérifie le fond.
Bastonerre le retourne, boummm, un objet tombe sur le sol, un bout de bois prolongé d'une chaîne avec une boule en acier recouverte de pointes acérées.
- La vache! Où c'est qu'ils dégottent des trucs pareils. Quels tarés.
Clémence ramasse les lacrymos, les met très rapidement dans ses poches. Elle marmonne

- Bon,  c'est réglé.



                        Bastonnerre hausse le ton: - Mais tu fais quoi ? Il faut les récupérer, il faut les amener dans l'armoire,  toutes les armes récupérées sur le terrain sont ramenées à l'armoire de la compta. C'est toi qui l'a dit. On a toujours fait ça, règle numéro 807. Clémence le regarde en penchant la tête, léger sourire:  - Faut bien que j'ai de quoi me défendre. T avais qu'à pas regarder. T'as qu'à la fermer.

jeudi 13 décembre 2012

1503. ...cou...tu...re...

                        ....le fil de mon discours, je parlais de quoi déjà, le fil, je l'ai perdu, ça va revenir, tellement de choses à dire s'agitent dans le palais de ma bouche...que je ne peux prévoir à l'avance, ça déboule à la va-vite-comme-je te pousse, aucune idée, la seconde avant de ce qui va sortir, mais une fois lancée c'est impossible que ça s'arrête... j'aime tellement les mots que je ne peux pas m'empêcher d'en dire du soir au matin et d'en sortir encore et encore même toute la journée...


                        ... et même la nuit, ils sortent de mes lèvres comme 807 saumons pressés tous ces mots qui giclent derrière mes dents et arrivent en rafale, ça y est j'ai retrouvé le fil...


                         ... tellement de mots et de paroles que ça commence à être fatiguant pour mes maxillaires et je n'arrive pas à finir de parler alors qu'il faudrait... je veux dire par là que ça serait nécessaire de ralentir mon débit, oui, d'en dire moins, moins cracher de venin... que ça arrête de passer en sifflant du larynx au palais avant d'être propulsé au devant des incisives dans des micro-projections de salive... mais je ne peux pas me retenir de causer maintenant, le silence ferait un trou dans le blabla... les mots que j'aimais tant débordent de ma bouche... toujours trop il en sort, mes joues acides tremblent et j'en parle, ma mâchoire brûle et je le raconte aussi, quand le robinet se bloquera-t-il... il faut que je me couse la bouche, à gros points, vite mettre la main sur une aiguille, vite, du fil et une aiguille...

mercredi 12 décembre 2012

Chevaleresque Chevillard



                          Aujourd’hui, jour de la Saint-François, Cloclo est de retour, mais le cyclone Claude ne doit pas emporter nos artistiques contemporains dans son maelstrom médiatique. Au hasard, j’ai donc choisi le chevaleresque Éric Chevillard. Enfin, voilà un gracieux romancier qui brille par sa discrétion ! Ce pudique artisan du verbe taille ses diamants dans la pierre d’alun et la glace fondue du pôle de la psyché d’un curiste islandais flânant dans les rues du vieux pays dijonnais !
Cet auteur porte le casque d’Hadès ; ce heaume le rend invisible, mais, aussi, invincible ! Gageons que Chevillard est le seul à pouvoir démâter un canot pneumatique, tel Poséidon, avec la force tranquille de sa verve ! Mesdames, attention ! Ne lisez pas « verge », entre les lignes, car je ne pourrais ramer sur ces eaux intimes, sans subir les foudres de l’auguste artiste.



                         Éric Chevillard excelle dans l’art et la manière d’étendre, sur le fil du rasoir, le petit linge du quotidien. Lui, qui aime les fourmis et les girafes, sait combien il est difficile de rouler sa bosse sur le dos d’un chameau. Ainsi, Chevillard éclabousse notre face de lecteurs venimeux avec l’élégance de son humilité. Il a percé les 807 mystères de Paris, et sa plume est la seule capable de fendre la croupe toute munificente d’un éléphant d’Asie, assis sur une pile de disques de « Cloclo ». Qu’on ne s’y trompe pas, Éric Chevillard n’a pas l’usage de défenses pour taper à la porte de son éditeur ; il utilise, tel un druide, la branche d’un arbre vengeur ou l’éclat d’un ver luisant à Minuit, pour annoncer sa venue.


                       Où passe Éric Chevillard, le verbe ne repousse plus et le poil non plus d’ailleurs.

mardi 11 décembre 2012

Délices de la microgastronomie française.



                      On nous proposa d’abord un grand champagne aux 807 bulles légères auréolant de fins dés à coudre en cristal, puis le serveur, dans son élégant complet noir, nous apporta une minuscule assiette délicieusement décorée de saveurs exotiques ; s'ensuivit une traîne de micros plats, aux parfums les plus délicats, accompagnés de vins millésimés versés dans des micros verres adamantins.


                    Apogée : sous nos regards éblouis, le dessert (un soufflé à la noix de coco et son brocart de chocolat noir couvert d’un voile perlé de menthe poivrée) fut dressé dans une verrine de Baccarat.


                     Ainsi, nous quittâmes ce somptueux restaurant gastronomique avec l’étrange impression d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre et, après quelques pas mal assurés, dans le premier caniveau venu, nous mîmes —  bile aux lèvres, teint jaunâtre et yeux pissant des lames de rasoir — à vomir tout notre soûl ! Gare à la nouvelle cuisine moléculaire qui vous atomise aux quatre coins de Paris, par petits bouts, façon puzzle !

mercredi 28 novembre 2012

Une bonne nouvelle



                             Le téléphone sonne. Répondeur. « Bonjour madame, votre recueil de nouvelles va être édité, rappelez-nous »


                             Prostré dans le fauteuil, Boris écoute, voilà déjà bien longtemps qu’il ne décroche plus le téléphone. C’est une voix féminine, jeune, assurée, pressée, tellement sûre d’elle qu’elle n’a même pas mentionné le nom de la maison d’édition, ni le numéro à rappeler, comme si cela allait de soi. Mieux vaut qu’il ne sache pas, qu’il ne creuse pas, parce que ça pourrait mal finir. Face à lui, la télé, son coupé, 807 images qui défilent, dans sa main gauche la télécommande, il appuie sur les touches comme un fou, zappe, zappe, zappe. Elle détestait ça. A sa droite, sur la table basse, des canettes de kro, un cendrier plein. Il envoie la télécommande valdinguer par terre, télé bloquée sur des gens qui rient comme des cons, allume une clope, tire quelques tafs nerveuses et se met à trembler. Le tabac et l’alcool le tueront, tant mieux, il n’attend que ça. Il laisse la cigarette se consumer dans le cendrier qui déborde et se prend la tête entre les mains. Sur la table basse, à côté du cendrier et des canettes, un paquet de feuilles froissées et tachées à force d’avoir été lues et relues, et jamais éditée.


                           Une petite tache de sang sur la première page, à droite. Son suicide, Emilie ne l’avait pas raté.


vendredi 23 novembre 2012

Fruits de la passion


 
                   Depuis la nuit des temps, nous chassons ces fruits sauvages qui nous piquent les yeux avec leurs 807 épines. Nous armons notre lance-pierre et nous leur tirons des pépins de pomme en plein milieu de leur tête de poire. Bien qu'ils aient une couleur lie de vin, nous en raffolons ! Nous marchons sur des kilomètres pour en manger. D'ailleurs, ces fruits sont toujours en grappe pour nous impressionner : ils jouent l’effet de groupe, car ils ont compris que nous chassons seuls !


                     Nous ne comptons plus le nombre de fois où nous sommes tombés en déconfiture, à même le sol, un peu comme si nous avions poussé mamie dans les orties blanches. Nous sommes des hommes à tête de chou et nous n’avons pas un clou de girofle à nous planter dans la narine pour ressembler à un vrai guerrier.


                      Ces fruits nous piègent trop souvent avec leur peau glissante sur laquelle nous posons un pied marin, mal assuré. Résultat : nous terminons notre course dans les fougères, le nez sur un nid de fourmis rouges ; et nous rentrons au village avec la gueule comme un panier de fraises !




 

mardi 20 novembre 2012

Conte d’été (Derrick Romhair)



                       —     L’été est fini ! On devrait tourner la page huit, tu sais ! lui ai-je dit, avec une petite voix mélancolique. 
     Tu devrais peut-être la lire avant de partir ! m’a-t-elle répondu, en chuchotant comme le vent dans le cœur des arbres.


                       —      Ce que cent femmes veulent, Dieu le veut ! lui ai-je répliqué, pour me donner un air spirituel.


                    Et sur le blanc immaculé de sept feuilles de papier glacé par ce dernier coucher de soleil estival, elle avait écrit — avec toute la force imaginative de son rouge à lèvres pailleté — une phrase qui danse encore à mes oreilles : « Casse-toi ! Pov con ! »

samedi 17 novembre 2012

Bricoles et vigiles

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                       Le Père Noël n’existe pas et je ne mesurerai jamais un mètre quatre-vingt. Je raye vigile de la liste des métiers que j’aimerais exercer dans un futur proche.
Toutes ces illusions qu’on avait, qu’on couvait et qui fondent comme neige au soleil. Prennent l’eau comme une vieille barge délaissée maintenant qu’un pont relie les deux rives.
Et pas question d’écoper, il faut s’y faire, soit être comme on est. Il faut y aller. 



                     - S’il vous plaît, mademoiselle, votre sac!
- Ok, je vous l’ouvre, que des bricoles, 807 bricoles... 
807 est le sésame pour le service de sécurité du musée. La vie réelle bruisse de ces nombres particuliers qui font franchir les portes. Le vigile ne vous fait pas asseoir, il a la main dans votre sac à dos comme s’il y touillait une bouillie primordiale, vous lui dites « eh, faites attention, s’il vous plaît, j’ai des trucs importants !»
« Vous trouvez ça drôle de nous compliquer la vie ? » répond-il en vous poussant dehors, avec votre sac débraillé dans vos bras.  



                      Les vigiles ne savent pas ce que représentent les sacs pour les filles. En plus, il m’a tordu le bras, le sagouin, et l’écran de mon téléphone est tout taché de ses gros doigts. A Londres, gare de Saint Pancras, les douaniers anglais mettent des gants avant de plonger dans vos bagages.
Sur la liste, je rajoute Coach pour vigiles. À la 807ème place, quand même.

mercredi 14 novembre 2012

Ailes brisées


                      - Si j’étais optimiste, je dirais que mon sujet me bat un peu froid, qu’il souhaite prendre de la distance, qu’il est froissé de mes balourdises, qu’il attend que je me ressaisisse pour mieux me rouvrir sa porte et me dire, d’un ton mi-paternel mi-professoral : aller, avec un bon coup de collier, tu vas finir par y arriver ! Mais en homme lucide, je préfère parler d’un fiasco définitif. Ah ! ce sujet ! J’étais vraiment parti pour lui faire mille grâces, l’inviter à danser une très longue pavane, mais ces jours-ci il ne me voit même plus, fait mine d’être occupé avec d’autres, se perd en entretiens savants, avec des mots obscurs qu’eux seuls comprennent, je les entends brasser des concepts, et dès que je m’approche d’eux le petit cercle s’esclaffe.  J’imagine qu’ils se disent : quel sombre idiot ! Il y avait tant de sujets faciles, la Campagne de Russie, l’impératrice Eugénie en ses jardins, l’histoire de la porcelaine de Meissen... mais non, ce petit bonhomme avait des ambitions plus hautes !



                - C’est vrai que tu étais quand même parti pour dix bonnes années de travail en bibliothèque avant d’oser seulement le saluer de loin, ton fameux sujet...


 
                        - Et pourtant j’avais déjà un bien joli titre : 807, idéal ou idéel ?

lundi 12 novembre 2012

Vous qui entrez ici


                         « Je n’y retournerai pas deux fois ! » se dit-il à la sortie du col de l’utérus. Laissant derrière lui matrice mouillée et moelleuse, il décide de s’engager, dans la vie pour commencer.




                         « Je n’y retournerai pas deux fois ! » se dit-il à l’entrée du four du crématorium. Lui qui laisse derrière lui 807 choses inachevées s’apprête enfin à terminer quelque chose.

samedi 10 novembre 2012

Un dernier tour au Parc.


                           Remarquez les baies rouges et les fleurs blêmes, profusions échevelées se déversant des arbres des jardins. Un jogger croisé ainsi que deux petits enfants trainés par leur grand-mère. Au Parc revient brouillée la silhouette d'un homme qui fumait en descendant quelques marches, dégaine entraperçue à la résidence La Fontaine. Point de départ. Au Parc, se défaire fissa des murs imaginaires. Au milieu de la verdure, une rivière revoit le jour. Il pourrait être amer, ce flux boueux, vaseux, stagnant en fine couche sur un long aplat de béton, eau sombre charriant quelques cailloux et s'insinuant entre vert et ocre, stries d'herbes courtes ou trainées argileuses. Bordant la rivière, une large pelouse aux brins verdoyants dont le parfum piquant se dilue dans la brise fraiche. Elle s'élargit sur une vingtaine de mètres. De gras bosquets aux feuilles à éraflures la longent, ainsi que des saules pleureurs. Sont-ils aussi doux que leurs lianes le semblent, quand épaisses et aérées ou bien nues, elles se balancent dans la brise, s'inclinent précisément dans la lumière dorée, 807 rubans oscillants sur le même lent tempo ?


                          Vif, le vert d'herbe, il s'étend au delà du décrochage bétonné qui traverse tout l'espace en contre-bas. Sur toute sa longueur, un fin filet d'eau s'y traine, y flaque d'ici à au delà. Contigüe, l'étendue herbeuse jusqu'à un promontoire où elle se plie en trois haute marches. Pour aboutir sur un grillage et derrière un chemin, puisque deux petits marcheurs et un chien minuscule avancent en ligne. Quelques peupliers grisâtres ceinturent le fin fond du Parc, qu'une trouée, cernée par deux larges masses de saules. Aiguisées, leurs branches verticales cachent autant l'entrée que la sortie vers le bassin de recyclage. Leurs troncs sont verticaux et sobres, tandis que les ramures se caractérisent par des traits chaotiques, longs hameçons tremblants dont les mouvements hypnotiques ne ramènent aucune prise. Pendant un instant un rayon solaire allège les futaies molles, un corbeau apparaît, aussi furtif qu'un dernier expire. Sur la jetée qui surplombe la rivière, un tag tracé à la peinture blanche : Dieu a un plan pour chacun, l'enflure.


                          Dans le pavillon de mon oreille gauche vrombit un ronronnement mécanique qui s'accentue, décroit, s'efface. Dans celui de la droite un pépiement aigu, sec, note suspendue dans l'air entre deux silence, un pépiement, répétition. Quand avec le vent vaguelettes de frottements, les feuilles résonnent de concert. Longue plainte grave d'une moto filant vers Fresnes. Les bruits flous des végétaux se déploient quand ceux des moteurs se dessinent nettement. Son froissé des graviers écrasés par les baskets des joggers, halètements secs du clebs à la balle rouge dans la gueule. Traversées par un souffle, les feuilles argentées des bouleaux crépitent, bien plus crissantes que celles des saules, quand derrière moi une mélodie criarde fait se décrocher un portable. - Ah oui, ah bon, dans le four répond une voix perchée. Plus tard, silence revenu, plus tard les futaies s'animent les unes après les autres avec délicatesse quand le grondement étouffé d'un avion écrase les autres sons. Longeant les buissons taillés, les sapins bleutés, les mimosas encore fleuris et les flèches barrées, la promenade se replie. Point final. Quelques trouées de lumière quand s'éloigne le zigzag d'un enfant après un détour à la boulangerie.

mercredi 7 novembre 2012

Dans les choux


                       Savez-vous les planter, ces crucifères ? 

 

                       Eric Chevillard, bienheureux inspirateur des 807 grâce à autant de brins d'herbe (quelle idée !) ne désavouerait pas une telle propension à gloser sans fin sur des propos les plus anodins.


                       Pourvu que la truite amendée ne se transforme pas en infâme gratin.

lundi 5 novembre 2012

Doigt dans l'oeil !


Huit : au royaume des poutres, l’œil de l’homme fait figure de paille.


Cent : il me sera toujours plus facile de crever l’œil d’autrui que de crever l’abcès entre lui et moi.


Sept : en fait, ce n’était pas une larme qui coulait de son œil de verre, mais le reste d’un vieil écoulement nasal.

mardi 30 octobre 2012

Promenade


                               L’écorce rugueuse, noire et blanche s’écaille, se fissure et laisse apparaître de grandes zones lisses et brunes. Le tronc du bouleau est dur dans mon dos. Le froid rentre dans mes doigts, tandis que la chaleur du soleil pénètre ma peau. J’écarte une branche souple, les feuilles fraîches caressent ma main. La pelouse est élastique et quelques pas me ramènent à la dureté du béton de la route. Quelques foulées, et je suis sur la passerelle en bois au-dessus de la Bièvre. Les travées vibrent sous mes pieds lors du passage d’un coureur. Je m’arrête un instant, appuyé sur la rambarde rugueuse.


                              Une forte odeur de décomposition envahit mes narines, presque fétide. Un mélange de terre mouillée, d’herbes en décomposition, mon nez enrhumé ne filtre que les odeurs délétères. Un camion passant non loin m’asperge de son odeur de diesel, après avoir déjà fui au loin.


                              Le léger vent souffle doucement et continûment dans mes oreilles. Sous mes pieds, à quelques mètres, un petit bruit de cascade discret signale la rivière. A l’autre bout de la passerelle, un piéton aux semelles dures s’éloigne bruyamment. Le zip de mon gilet déchire sèchement ce presque silence. Devant, à gauche puis à droite des oiseaux échangent quelques cris. Au grondement sourd de réacteurs, je lève la tête pour repérer dans le grand ciel bleu le quadrimoteur responsable. Mon oreille gauche est au calme, tandis que par la droite pénètrent tous les sons de la route distante : quelques voitures, une moto pétaradante, un camion au son grave et fort. Je me tourne d’un quart de tour sur la droite en fermant les yeux. Je suis soudain envahi par la spatialité du son : les véhicules se déplacent d’un coté à l’autre, je surprends mon esprit qui les localise, les suit sur leur trajectoire en position et vitesse. Ils s’arrêtent ou accélèrent, tournent au croisement pour s’éloigner. Je suis plusieurs véhicules simultanément, qui se suivent ou vont dans des directions opposées. Je joue à ouvrir et fermer les yeux pour confirmer par la vue cette véritable vision sonore, et cela marche étonnamment bien. Je suis au bout de la passerelle, le bruissement de 807 feuilles agitées par la brise envahit mes oreilles. De tout près, je peux individualiser ces milliers de petits chocs des feuilles entre elles ou contre les branches voisines. Deux corbeaux s’envolent en croassant. L’aboiement d’un chien traverse le parc. Je croise un couple qui discute à voix basse, l’un se racle la gorge bruyamment. Les pas d’un coureur rythment pendant quelques instants le soufflement du vent.  Sur le fond du ciel bleu, au-dessus du toit d’une maison, se détachent les silhouettes variées d’un saule, d’un cèdre et d’un sapin.

vendredi 26 octobre 2012

La magie des lieux

                 Ça n’avance pas vite. Mais si. Recalculons. J’en suis déjà à 807 caractères espaces compris. En multipliant cette somme par le même nombre, on obtient un résultat assez correct. Pour un premier roman.



                 Dans un premier temps, je vais apporter un soin tout particulier à mes descriptions. Tout bien considéré, bien des gens ont bâti une œuvre en s’en tenant là, et pas des moindres. Ne citons pas de noms, ça donnerait le vertige. Un peu de modestie, que diable.



                 Dans un deuxième temps, j’effacerai tout. Mes personnages feront le décor à leur idée. Ils n’en seront que meilleurs.

mardi 23 octobre 2012

Scriptorium


                          - Et puis soyez assez aimable de vous relire plus attentivement. Votre texte n’est pas mauvais en lui-même mais le style en est franchement relâché. Les répétitions, notamment, sont extrêmement gênantes. Vous n’êtes pas sans connaître les dictionnaires de synonymes, je présume ? Et n’oubliez pas d’utiliser vos barres d’outils. Elles n’ont pas été uniquement conçues pour amuser les chats. Allons, revoyez-moi ça plus sérieusement.




                         - Vous n’aimez pas les répétitions ? C’est curieux, dans La Recherche j’en trouve plein, tout le temps, partout ! Le même mot, la même expression à trois lignes d’intervalle ! Au moins 807 fois, pour rester indulgent...



                         - Vous savez, se relire, à son époque, ce n’était pas une sinécure. Voilà probablement la cause de toutes ses petites maladresses. Ah, s’il avait pu en disposer, de cette fameuse fonction recherche...

vendredi 19 octobre 2012

taille

                        un va et vient vol bourdonnant l'intrigua. vladje suivit les arabesques du vol et découvrit une maison en forêt. maison spécialisée qui n'allait pas sans son train ordinaire de conséquentes douleurs violettes à voir les créatures qui entraient,  visiteuses légères à robe jaune et rayures. leur venue semblait contrainte par quelque noire et inexorable nécessité. vladje remarqua qu'elles demeuraient deux à trois jours dans la maison de la forêt



                         la veille on avait vu un homme à mâchoire électrifiée déchiqueteur de hauts arbres s'attaquer à un petit bois  entre deux combes. bientôt toute verticalité effroi de cathédrales s'était rabattue à l'horizontalité d'une jonchée de branches brindilles copeaux et bientôt sections de troncs. des sangliers déboulaient de quelque soue secrète et des autruches en cavalcade lâchaient quelque noires plumes.



                          vladje observa les créatures sortant de la maison de la forêt. elle les trouva changées, moins  lianes, moins mobiles, plus empâtées mais ne parvint pas à désigner précisément le détail construisant la métamorphose. elle attendit. elle en vit une autre puis une autre puis encore une autre. à la 807° elle se décida à questionner. quelle était cette maison et qu'est-ce qu'il s'y passait. une créature répondit : ablation de nos tailles de guêpe

mercredi 17 octobre 2012

Euh…



– C’est dingue ! Faut qu’te raconte : une histoire de tryptique, de texte coupé en trois, ça m’rend folle ! Merde, le téléphone, j’reviens…

 

– C’était Paul. Qu’est ce que j’disais ? Ah oui ! Les huit sans sept ! Tu veux du café ?

  
 – Hein ???

samedi 13 octobre 2012

Feu de joie

                        Repasser la porte de la zone bleue, personne ou presque juste une réceptionniste la jeune de l’autre fois qui apprenait et un type qui écrit dans un coin, elle tend son ticket rose la fille sort une enveloppe brune qu’elle ne lui donne pas c’est le docteur qui.



                        « Tout est normal vous n’avez plus rien à craindre, ça fait bien plus de trois mois ?» « Oui » elle ressort, la même cour pas de banc libre s’assied sur les marches, une clope, relit le papier blanc, alors c’est fini bien fini mon Dieu qu’elle a eu peur pour elle pour lui surtout pour lui ne plus se demander comment lui dire faire exploser sa vie une vie deux vies d’autres vies.



                          Rentrer un peu sonnée, cœur léger, reprendre les papiers, le rose et l’autre, lire encore : négatif négatif négatif négatif négatif jusqu’à s’en transpercer la rétine prendre un briquet allumer un feu de joie regarder 807 petites flammes balayer le passé et même la petite ombre triste à la fenêtre.

jeudi 11 octobre 2012

Repassage interdit

                     – C’est bien joli, Monsieur, ces plissés Fortuny que vous portez au coin des yeux, dites-moi s’il vous plaît où m’en procurer de pareils ?



                      – Hélas ma chère enfant, ces plissés-là ne s’achètent pas. Ils se gagnent sur les champs de bataille de la vie. Le général Temps les décerne à ses meilleurs soldats.



                      – Alors tant pis. Moi je n’attendrai pas huit cent sept ans. La saison prochaine, la mode en sera déjà passée.

mercredi 10 octobre 2012

Douceurs

 
                   Entrer dans la boutique du chocolatier. Sourire d’aise en découvrant les religieuses aux petits chapeaux lustrés, les opéras rectangulaires, les dacquoises croustillantes…S’attarder sur les pyramides de crottes en chocolat. Résister, détourner le regard. Observer, par exemple, la patronne, impeccablement maquillée, permanentée de frais, le tailleur de bonne façon sans excès, le visage amène mais le port de tête rigide, serrée contre son tiroir caisse. Se concentrer sur la jolie vendeuse empressée, désireuse de donner satisfaction à la matrone sévère. Attendre son tour en s’impatientant légèrement de toutes ces civilités inutiles qui sont la base du bon commerce. Désigner enfin l’objet de tous nos désirs, ce sachet anonyme dans la vitrine réfrigérée, non pas celui-là Mademoiselle, celui qui est au premier rang, celui-là, oui, supposé plus frais. Il vous faudra autre chose ? Non. Huit euros sept cents! Le voir disparaître illico dans un sac plastique au nom du chocolatier, censé lui apporté un regain de popularité auprès des passants.
 

                 Monter dans la voiture. Jeter négligemment le trésor sur la banquette arrière et rentrer vite à la maison !


                          Se débarrasser de l’emballage encombrant, s’asseoir enfin dans le vieux fauteuil en cuir et contempler ce bonheur suprême : deux cents grammes de caramels mous au chocolat ! Dénouer fébrilement le lien rigide, le petit nœud énervant qui sépare du Nirvana et profiter des effluves volatiles du cacao amer, extirper délicatement un de ces délices du paquet translucide et bruyant, enfoncer l’index dans ce petit carré brun, légèrement huilé, un peu humide, sentir juste un peu de résistance, en apprécier l’élasticité et la fraîcheur, l’approcher avec gourmandise de sa bouche. Goûter sa légère froideur sur les lèvres, et immédiatement son onctueuse granulosité sur la langue, laisser fondre avec volupté, savourer le mélange subtil de sucre, de beurre salé et de chocolat, laisser cette salive douce-amère envahir la bouche. Déglutir lentement et sentir cette douceur exquise inonder sa gorge. Langoureusement, du bout de la langue pousser ce caramel fondant entre la gencive et la joue, s’abandonner avec délectation au plaisir suave de la fonte inexorable de la friandise, mollement sans réagir. Finalement, avaler le petit résidu de sucre dans un dernier sursaut de plaisir. En manger un deuxième, un troisième…..Puis tout le paquet. Le regretter !

jeudi 4 octobre 2012

Pierre Jourde et nous

- Tu n’as qu’à lire sa biographie. Elle est très bien détaillée. Tu m’en diras des nouvelles. Ça rend modeste. Ça donne envie de faire glisser bien soigneusement sa prose jusqu’à la corbeille, de la vider sans repêchage possible puis, enfin, d’aller vivre des choses intéressantes avant de recommencer à faire son malin avec des mots. Voilà ce que je pense. Et toi ?
- Moi c’est pareil. Mais quand j’ai lu qu’il avait fait des manœuvres hivernales dans la neige, je me suis un peu rengorgée. Je me suis dit : tiens, si je n’ai pas 807 points communs avec ce grand écrivain, j’en ai tout de même un. Et celui-là, il me parle. Manœuvres hivernales dans la neige, je pratique. Presque tous les ans. Pour ça, l’essentiel, c’est le bonnet. Bien enfoncé sur les oreilles. Note bien, pour écrire un roman intéressant, c’est un peu pareil. Avoir la tête près du bonnet, c’est essentiel. La tête près du bonnet... Joli titre. Y a plus qu’à.

lundi 1 octobre 2012

Les vivants 3

– Je n’ai pas envie de rentrer chez moi le soir en ce moment.
– Pourquoi tu me dis ça ?
– ...



– Demain soir je vais au cinéma.
– Je ne serai pas libre demain soir.
– ...
– Et ce soir je suis invité.
– Ah... Je te souhaite une bonne soirée alors.
– Et toi, que vas-tu faire de la tienne ?
– Essayer de trouver le sommeil.
– Et ?
– Et t’embrasser 807 fois dans mes rêves.
– Je vois.
– Je n’en suis pas certaine justement.
– ...



– Je ne sais pas comment tu fais pour me supporter : moi, je ne me supporte plus.
– C’est peut-être parce que je ne te supporte pas assez.
– Sale type !
– Sale type toi même !
– Mais... Je suis une femme, tu l’as oublié ?
– Et alors, tu n’as jamais lu Echenoz ?

jeudi 27 septembre 2012

Casse-tête

Depuis sa retraite, le vieux professeur consacrait sa vie aux mathématiques. Les calepins qui débordaient de ses poches étaient noircis de chiffres, de symboles, de figures géométriques. Il inventait des jeux de société à base de mathématiques de plus en plus ésotériques, dont il était le plus souvent le seul à comprendre les règles et le but. Il inventait aussi des casse-têtes, dont une intuition fulgurante lui donnait simultanément et sans effort la formulation et la réponse. Progressivement, il se mit à raconter à voix haute ses raisonnements, suscitant surtout l’incompréhension amusée de son boulanger et de son boucher. Lorsqu’un matin il sortit nu dans la rue en hurlant et répétant sans arrêt « combien de carrés et de rectangles ? », arrêtant les passants, les voitures et même les chiens errants, la police municipale n’eut plus de doute. Alors que les infirmiers de l’hôpital psychiatrique l’emmenèrent, un dessin s’échappa de sa main.
Son domicile, un modeste deux pièces à Montrouge, regorgeait de ces calepins et feuilles bien rangés. Mais cette dernière énigme, sans titre, ni question, ni explications, ni solution, ne fut jamais résolue.

mardi 25 septembre 2012

Lexington avenue, New York, NY

Des jours que ça dure. Ça crie, ça balance des trucs à la figure de l’autre, et le gamin qui pleure pendant ces interminables disputes. Les voisins n’en peuvent plus, et moi le premier. Cette famille du 3e étage nous pourrit la vie. En plus, on commence à craindre pour sa vie à elle. J’hésite à appeler la police. Et je pense à la chanson de Tracy Chapman, Behind the wall.


Aujourd’hui c’est pire. L’homme vient enfin de comprendre qu’elle le trompe avec un serveur du restau indien en bas, il hurlait déjà dans l’escalier avant d’entrer chez lui. Tout l’immeuble le sait depuis longtemps : l’amant monte lors de ses pauses. J’ouvre ma fenêtre pour m’en griller une en attendant qu’ils terminent : ils abordent des sujets intimes, et je ne veux pas entendre. Un bruit métallique attire mon attention. C’est le serveur qui essaie de descendre discrètement – c’est raté – l’escalier de secours en façade. On peut dire qu’il l’a échappé belle, celui-là, heureusement que le mari a fait du boucan en arrivant. Il saute maintenant de l’échelle, négligeant les derniers barreaux, et atterrit sans encombre sur le trottoir. Une sirène hurlante s’approche rapidement de notre immeuble.

lundi 24 septembre 2012

Vagues



                     Combien de temps aux vagues pour gommer, polir, caresser, estomper, supprimer,
radier, éradiquer l'ineffaçable ?


                     Les flots t'emportent au loin, mais tu reviens toujours, inexorablement,
t'échouer sur le sable.




samedi 22 septembre 2012

zinzolin


                      vladje le regarda remuer tant qu'il pouvait les liqueurs violacées du grand chaudron. elle l'avait entendu dire que la consistance de ces liqueurs secrètes devait rester d'une souplesse de danseuse. s'il advenait qu'elles épaississent un peu - et cela advenait souvent près des bords car la force du remuement était plus puissante et plus efficace au centre du chaudron - on le voyait agiter une inquiétude tenace et s'épuiser à remuer encore. ce jour-là il fallut qu'il appelât là l'aide des spécialistes de liqueurs molles dont le savoir en ces substances réussissait quelquefois à liquéfier celles qui ont épaissi au-delà du tolérable.

                      la veille on avait fait sonner tambour, djembé, timbale, tambourin, qilaut, daf, bongo, conga, caisse claire. des mains, des baguettes frappaient frappaient, presque sauvage, les peaux animales. autour des batteurs on voyait libellules vertes, libellules jaune d'or, demoiselles bleues, paons du jour, abeilles charpentières. d'aucuns disaient aimer le contraste qu'apportait leur légèreté dans tant de démonstration de vigueur.

                      le remueur poursuivait son incessant remuement. les liqueurs commencèrent à quitter leur sournoise épaisseur. il crut pouvoir s'arrêter. vladje pourtant se demanda si ce n'était pas chaudron des danaïdes et s'il n'y avait pas, à voleter dans l'air avec moustiques, papillons, mouches, libellules, éphémères, taons, abeilles, une rouge condamnation. peut-être remuer au-delà de 807.

vendredi 21 septembre 2012

Loterie.

                               
                              Passer le porche, accueil, c'est pour un dépistage, oui, passez la porte vitrée puis traversez la cour en diagonale, zone bleue, couleur de la mer, de sa trouille et de ses coups de bad. 


                             Pousser la porte, bonjour, prendre un ticket, un mec titube jusqu'au bureau, il faut prendre un numéro monsieur, il sort le 808, s'approche d'elle vous avez lequel, 807, retitube et s'assied. Ils sont quatre, elle compris. Deux toutes jeunes blacks, leggings sous jupe en jean, un trentenaire costard cravate, elle veste kaki lunettes noires tenue de camouflage et le 808 qui a laissé tomber son papier par terre et sort en tanguant on dirait qu'il danse. 



                            On l'appelle elle se lève bonjour voilà un questionnaire, un ticket, le médecin va vous appeler passez dans la salle à côté. Elle remplit le questionnaire partenaires multiples seringues échangées prostitution occasionnelle ou régulière mais qu'est ce qu'elle fout là. Le médecin vous avez des questions non, si, c'est quand les résultats, faut voir avec l'infirmière, au revoir merci. On la pique, elle sent rien, c'est quand les résultats, vendredi, entre midi et deux, merde, elle pourra pas venir. Au revoir merci avise broc d'eau gobelet en plastique boit avidement, sort, plus loin une cour des bancs, s'assied, une clope, des gens en pyjama tout abimés prennent le soleil des infirmières mangent elle regarde les fenêtres, voit son ombre pleurant derrière les carreaux, vingt-sept ans déjà, se demande si c'est les mêmes paumés qui sont là. Elle planque le ticket rose dans son portefeuille ne le perdez pas c'est pour les résultats tu parles qu'elle va pas le perdre c'est le ticket gagnant, ou perdant, elle sait pas. Elle sait pas.

mercredi 19 septembre 2012

Semblance.

Il sourit aux enfants.
Il semble heureux.
Il marche sur la plage en continuant à sourire.
Il semble attentif.
Il sourit aux femmes.
Il semble amoureux.
Il marche sur la plage en laissant éclater son sourire.
Il semble exister.

Vous souriez.


Il pose sa serviette en laissant un sourire flotter sur ses lèvres.
Il semble paisible.
Il plonge dans la mer en gardant son sourire.
Elle semble délicieuse.
Il nage en mer en restant souriant.
Elle semble le caresser.
Il fait 807 mouvements en persistant à sourire.
Il semble consentant.

Vous gardez votre expression rieuse.



Il sent son coeur battre vite en faisant durer son sourire.
Il semble prendre du plaisir.
Il a un malaise.
Il semble surpris.
Il se noie.
Il semble mort.

Vous cessez de sourire soudain.