mercredi 28 novembre 2012

Une bonne nouvelle



                             Le téléphone sonne. Répondeur. « Bonjour madame, votre recueil de nouvelles va être édité, rappelez-nous »


                             Prostré dans le fauteuil, Boris écoute, voilà déjà bien longtemps qu’il ne décroche plus le téléphone. C’est une voix féminine, jeune, assurée, pressée, tellement sûre d’elle qu’elle n’a même pas mentionné le nom de la maison d’édition, ni le numéro à rappeler, comme si cela allait de soi. Mieux vaut qu’il ne sache pas, qu’il ne creuse pas, parce que ça pourrait mal finir. Face à lui, la télé, son coupé, 807 images qui défilent, dans sa main gauche la télécommande, il appuie sur les touches comme un fou, zappe, zappe, zappe. Elle détestait ça. A sa droite, sur la table basse, des canettes de kro, un cendrier plein. Il envoie la télécommande valdinguer par terre, télé bloquée sur des gens qui rient comme des cons, allume une clope, tire quelques tafs nerveuses et se met à trembler. Le tabac et l’alcool le tueront, tant mieux, il n’attend que ça. Il laisse la cigarette se consumer dans le cendrier qui déborde et se prend la tête entre les mains. Sur la table basse, à côté du cendrier et des canettes, un paquet de feuilles froissées et tachées à force d’avoir été lues et relues, et jamais éditée.


                           Une petite tache de sang sur la première page, à droite. Son suicide, Emilie ne l’avait pas raté.


vendredi 23 novembre 2012

Fruits de la passion


 
                   Depuis la nuit des temps, nous chassons ces fruits sauvages qui nous piquent les yeux avec leurs 807 épines. Nous armons notre lance-pierre et nous leur tirons des pépins de pomme en plein milieu de leur tête de poire. Bien qu'ils aient une couleur lie de vin, nous en raffolons ! Nous marchons sur des kilomètres pour en manger. D'ailleurs, ces fruits sont toujours en grappe pour nous impressionner : ils jouent l’effet de groupe, car ils ont compris que nous chassons seuls !


                     Nous ne comptons plus le nombre de fois où nous sommes tombés en déconfiture, à même le sol, un peu comme si nous avions poussé mamie dans les orties blanches. Nous sommes des hommes à tête de chou et nous n’avons pas un clou de girofle à nous planter dans la narine pour ressembler à un vrai guerrier.


                      Ces fruits nous piègent trop souvent avec leur peau glissante sur laquelle nous posons un pied marin, mal assuré. Résultat : nous terminons notre course dans les fougères, le nez sur un nid de fourmis rouges ; et nous rentrons au village avec la gueule comme un panier de fraises !




 

mardi 20 novembre 2012

Conte d’été (Derrick Romhair)



                       —     L’été est fini ! On devrait tourner la page huit, tu sais ! lui ai-je dit, avec une petite voix mélancolique. 
     Tu devrais peut-être la lire avant de partir ! m’a-t-elle répondu, en chuchotant comme le vent dans le cœur des arbres.


                       —      Ce que cent femmes veulent, Dieu le veut ! lui ai-je répliqué, pour me donner un air spirituel.


                    Et sur le blanc immaculé de sept feuilles de papier glacé par ce dernier coucher de soleil estival, elle avait écrit — avec toute la force imaginative de son rouge à lèvres pailleté — une phrase qui danse encore à mes oreilles : « Casse-toi ! Pov con ! »

samedi 17 novembre 2012

Bricoles et vigiles

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                       Le Père Noël n’existe pas et je ne mesurerai jamais un mètre quatre-vingt. Je raye vigile de la liste des métiers que j’aimerais exercer dans un futur proche.
Toutes ces illusions qu’on avait, qu’on couvait et qui fondent comme neige au soleil. Prennent l’eau comme une vieille barge délaissée maintenant qu’un pont relie les deux rives.
Et pas question d’écoper, il faut s’y faire, soit être comme on est. Il faut y aller. 



                     - S’il vous plaît, mademoiselle, votre sac!
- Ok, je vous l’ouvre, que des bricoles, 807 bricoles... 
807 est le sésame pour le service de sécurité du musée. La vie réelle bruisse de ces nombres particuliers qui font franchir les portes. Le vigile ne vous fait pas asseoir, il a la main dans votre sac à dos comme s’il y touillait une bouillie primordiale, vous lui dites « eh, faites attention, s’il vous plaît, j’ai des trucs importants !»
« Vous trouvez ça drôle de nous compliquer la vie ? » répond-il en vous poussant dehors, avec votre sac débraillé dans vos bras.  



                      Les vigiles ne savent pas ce que représentent les sacs pour les filles. En plus, il m’a tordu le bras, le sagouin, et l’écran de mon téléphone est tout taché de ses gros doigts. A Londres, gare de Saint Pancras, les douaniers anglais mettent des gants avant de plonger dans vos bagages.
Sur la liste, je rajoute Coach pour vigiles. À la 807ème place, quand même.

mercredi 14 novembre 2012

Ailes brisées


                      - Si j’étais optimiste, je dirais que mon sujet me bat un peu froid, qu’il souhaite prendre de la distance, qu’il est froissé de mes balourdises, qu’il attend que je me ressaisisse pour mieux me rouvrir sa porte et me dire, d’un ton mi-paternel mi-professoral : aller, avec un bon coup de collier, tu vas finir par y arriver ! Mais en homme lucide, je préfère parler d’un fiasco définitif. Ah ! ce sujet ! J’étais vraiment parti pour lui faire mille grâces, l’inviter à danser une très longue pavane, mais ces jours-ci il ne me voit même plus, fait mine d’être occupé avec d’autres, se perd en entretiens savants, avec des mots obscurs qu’eux seuls comprennent, je les entends brasser des concepts, et dès que je m’approche d’eux le petit cercle s’esclaffe.  J’imagine qu’ils se disent : quel sombre idiot ! Il y avait tant de sujets faciles, la Campagne de Russie, l’impératrice Eugénie en ses jardins, l’histoire de la porcelaine de Meissen... mais non, ce petit bonhomme avait des ambitions plus hautes !



                - C’est vrai que tu étais quand même parti pour dix bonnes années de travail en bibliothèque avant d’oser seulement le saluer de loin, ton fameux sujet...


 
                        - Et pourtant j’avais déjà un bien joli titre : 807, idéal ou idéel ?

lundi 12 novembre 2012

Vous qui entrez ici


                         « Je n’y retournerai pas deux fois ! » se dit-il à la sortie du col de l’utérus. Laissant derrière lui matrice mouillée et moelleuse, il décide de s’engager, dans la vie pour commencer.




                         « Je n’y retournerai pas deux fois ! » se dit-il à l’entrée du four du crématorium. Lui qui laisse derrière lui 807 choses inachevées s’apprête enfin à terminer quelque chose.

samedi 10 novembre 2012

Un dernier tour au Parc.


                           Remarquez les baies rouges et les fleurs blêmes, profusions échevelées se déversant des arbres des jardins. Un jogger croisé ainsi que deux petits enfants trainés par leur grand-mère. Au Parc revient brouillée la silhouette d'un homme qui fumait en descendant quelques marches, dégaine entraperçue à la résidence La Fontaine. Point de départ. Au Parc, se défaire fissa des murs imaginaires. Au milieu de la verdure, une rivière revoit le jour. Il pourrait être amer, ce flux boueux, vaseux, stagnant en fine couche sur un long aplat de béton, eau sombre charriant quelques cailloux et s'insinuant entre vert et ocre, stries d'herbes courtes ou trainées argileuses. Bordant la rivière, une large pelouse aux brins verdoyants dont le parfum piquant se dilue dans la brise fraiche. Elle s'élargit sur une vingtaine de mètres. De gras bosquets aux feuilles à éraflures la longent, ainsi que des saules pleureurs. Sont-ils aussi doux que leurs lianes le semblent, quand épaisses et aérées ou bien nues, elles se balancent dans la brise, s'inclinent précisément dans la lumière dorée, 807 rubans oscillants sur le même lent tempo ?


                          Vif, le vert d'herbe, il s'étend au delà du décrochage bétonné qui traverse tout l'espace en contre-bas. Sur toute sa longueur, un fin filet d'eau s'y traine, y flaque d'ici à au delà. Contigüe, l'étendue herbeuse jusqu'à un promontoire où elle se plie en trois haute marches. Pour aboutir sur un grillage et derrière un chemin, puisque deux petits marcheurs et un chien minuscule avancent en ligne. Quelques peupliers grisâtres ceinturent le fin fond du Parc, qu'une trouée, cernée par deux larges masses de saules. Aiguisées, leurs branches verticales cachent autant l'entrée que la sortie vers le bassin de recyclage. Leurs troncs sont verticaux et sobres, tandis que les ramures se caractérisent par des traits chaotiques, longs hameçons tremblants dont les mouvements hypnotiques ne ramènent aucune prise. Pendant un instant un rayon solaire allège les futaies molles, un corbeau apparaît, aussi furtif qu'un dernier expire. Sur la jetée qui surplombe la rivière, un tag tracé à la peinture blanche : Dieu a un plan pour chacun, l'enflure.


                          Dans le pavillon de mon oreille gauche vrombit un ronronnement mécanique qui s'accentue, décroit, s'efface. Dans celui de la droite un pépiement aigu, sec, note suspendue dans l'air entre deux silence, un pépiement, répétition. Quand avec le vent vaguelettes de frottements, les feuilles résonnent de concert. Longue plainte grave d'une moto filant vers Fresnes. Les bruits flous des végétaux se déploient quand ceux des moteurs se dessinent nettement. Son froissé des graviers écrasés par les baskets des joggers, halètements secs du clebs à la balle rouge dans la gueule. Traversées par un souffle, les feuilles argentées des bouleaux crépitent, bien plus crissantes que celles des saules, quand derrière moi une mélodie criarde fait se décrocher un portable. - Ah oui, ah bon, dans le four répond une voix perchée. Plus tard, silence revenu, plus tard les futaies s'animent les unes après les autres avec délicatesse quand le grondement étouffé d'un avion écrase les autres sons. Longeant les buissons taillés, les sapins bleutés, les mimosas encore fleuris et les flèches barrées, la promenade se replie. Point final. Quelques trouées de lumière quand s'éloigne le zigzag d'un enfant après un détour à la boulangerie.

mercredi 7 novembre 2012

Dans les choux


                       Savez-vous les planter, ces crucifères ? 

 

                       Eric Chevillard, bienheureux inspirateur des 807 grâce à autant de brins d'herbe (quelle idée !) ne désavouerait pas une telle propension à gloser sans fin sur des propos les plus anodins.


                       Pourvu que la truite amendée ne se transforme pas en infâme gratin.

lundi 5 novembre 2012

Doigt dans l'oeil !


Huit : au royaume des poutres, l’œil de l’homme fait figure de paille.


Cent : il me sera toujours plus facile de crever l’œil d’autrui que de crever l’abcès entre lui et moi.


Sept : en fait, ce n’était pas une larme qui coulait de son œil de verre, mais le reste d’un vieil écoulement nasal.