Elle arriva par le bus de 16h45 et
descendit à l’arrêt qui faisait face à l’E.P.I.C.E.R.I.E. On n’y vendait plus
ni pain ni bonbons ni plus rien depuis des décennies : la bâtisse était
devenue une habitation, mais les huit lettres jaunes gravées dans la pierre
n’avaient été effacées ni par le temps, ni par les propriétaires successifs.
Près de l’arrêt Meunier, l’épaisse
roue de ciment était restée plantée dans la terre. On y montait, enfants, un
micro imaginaire à la main, pour y chanter un air de variété et se donner en
spectacle devant les copains, assis sous l’auvent.
Elle prit la rue Gabrielle Benier. Des
jardins adjacents parvenaient l’odeur du lilas blanc et les piaillements
d’oiseaux. Certaines maisons inchangées avaient gardé leur âme. D’autres, dans
l’arrogance de leur modernité, jouaient aux grandes dames, drapées de béton,
ouvrant des baies vitrées comme des bouches immenses et voraces. Rangés contre
la façade de ces cubes indigestes, de gros 4X4 noirs montaient la garde. Il n’y
avait rien à redire et le petit chien d’en face avait beau aboyer, on
l’entendait à peine, on ne le voyait plus.
Elle était venue pour revoir, avant la
fin, le lieu où sa route avait commencé. Cinquante ans plus tard, après l’exil,
les études, les enfants, les séparations, l’accumulation de soleil et de sel sur
sa peau vieillie, elle avait traversé la mer et souhaité retrouver cette maison
de poupée où elle avait grandi, bicoque adorable sur laquelle grimpaient le
lierre et la vigne vierge, et qui avait une odeur de vacances, comme sur une
carte postale.
Le visage était resté le même, mais
l’expression n’y était plus. Les fenêtres en bois n’existaient plus, ni non
plus la terrasse jonchée de cailloux et de jeux. On avait balayé, blanchi,
rajeuni tout cela. On avait opéré un lifting en somme. On lui avait fait
refaire le nez.
Il fallut ravaler l’amertume, le
dépit.
Elle descendit vers le bois, fit une
halte auprès de la dalle de mousse entre les branches, où la rivière venait
charrier toutes sortes de babioles que les enfants lui offraient en
partage : bouteilles à la mer, voitures Majorette, Barbie démantibulées
qui faisaient le voyage. Elle prit le chemin dit « des petits
lapins » qu’elle avait emprunté si souvent pour revenir de l’école,
cueillant pour sa mère, au passage, un bouquet de violettes.
Elle remonta dans le bus de 18h07.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire