Ce matin-là, Valentin sortit de chez lui, comme d'habitude, claquant doucement la porte pour ne pas réveiller la personne qui ne dormait pas dans son lit, ni n'habitait sa vie. Arrivé au bas de la rue, il entra dans le café-épicerie acheter un journal qu'il ne lirait pas et un rouleau de sacs poubelle. il prit le temps d'un café au comptoir, qu'il ne but pas, juste pour le plaisir des ablutions du percolateur. Sortant du bar à reculons, il buta contre un sac à dos à trois étages, s'affalant le nez sur le rabat.
Contre ses yeux, tout près, un écusson brodé d'une
magnifique chaîne montagneuse enneigée et le mot : हिमालय. De l'ouverture du sac, un pull négligent
pendait, marqué à l'encolure d'une étiquette avec lettres rouges brodées sur
fond blanc, réminiscence des colonies de vacances de nos enfances. Ça disait
Scarlett.
Valentin se releva, cherchant l'heureuse propriétaire du
pull, et, à peine capta-t-il son regard qu'il se sentit habité par le gros
corps noir et fatigué de Mamma au moment où commence la guerre de Sécession
dans la plantation de coton de Tara : Mamzelle Scarlett, dit-il…
Deux yeux clairs et perçants, cernés de disques blancs en
haut d'un visage tanné, enfoui dans plusieurs tours d'écharpe en mohair vert
d'eau, le dévisagèrent et chuchotèrent d'une voix rauque et granitique "de
quoi?"
Sous l'écharpe, dans la pénombre du lit de Valentin, son
corps avait l'éclat d'une flaque de lait qu'il lapa de l'Atlas, perdu au milieu d'une chevelure
abondante, en passant par l'Axis, jusqu'à la décrue des lombaires.
Scarlett ne pipait mot. Descendue directement de la Demeure
des Neiges pour monter dans l'avion et en redescendre dans la campagne
française, elle sentait ses neurones assiégés par le jetlag, et papilles, pupilles, et myrtille se relâchaient sans
commune mesure.
Les corps s'accordaient et se désaccordaient au rythme
lancinant du chant qu'ils inventaient.
Historiquement parlant, nul doute que le Missionnaire était le number
one, pensait Valentin. Dans sa tête, une voix intérieure se mit à réciter une
litanie, l'Andromaque les petites cuillères l'union du lotus le bateau ivre
l'écrin à bijoux la fleur éclatée les vignes entrelacées l'arc en ciel la
balançoire l'approche du tigre la danse aux joyeuses faveurs l'indolent le
noeud coulant le phénix dans la joie la mystérieuse entrevue le trépied
chancelant le cerf en rut le petit pont…
La voix de Scarlett, toujours aussi minérale, émergea de
dessous la tente des draps pour affirmer : Oui, tu as raison, le Kâmasutrâ, 807
positions.
On ne peut que se positionner en faveur de ce texte ; d'ailleurs, quand Valentin accouche d'une montagne, comme une souris d'une dent de lait, on imagine qu'il est l'heure (avec toute mollesse de montres à aiguilles de pin parasol) de faire ses ablutions solaires dans un bon bain de 807 acides aminés. Bien sûr, je passe sur le temps de décoction ou de décoloration... Merci et félicitations pour ce récit, Dominique !
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