Valentin, encore lui.
C'est le soir, juste avant la fermeture du café-épicerie, à trois tours de roue de vélo de chez lui, roues de son vélo qu'il appuie contre le mur tapissé de lierre. Il achète un paquet de cigarettes qu'il ne fumera pas, mais descend un ballon de Sancerre au comptoir tout en promenant ses doigts sur quelques cacahuètes égarées au fond d'une soucoupe. On ferme, dit la patronne, et elle ferme, lui laissant à peine le temps de se faufiler sous le rideau de fer, encore tout frissonnant de ce petit effet guillotine.
Pince coupante à la main, une fille à la chevelure noire aussi longue qu'un ruban de zan déroulé, tout à son affaire autour de cet antivol en queue de petit cochon. Valentin fait Oh!, deux fois, interloqué et séduit par l'audace de la fille dans cette rue, dans ce quartier où rien ne se passe et où personne n'a jugé bon d'installer un commissariat de police. Elle le regarde droit dans ses bottes, et lui dit Ne fais pas de suppositions, je ne suis pas en train de voler ton vélo, j'essaie juste la pince que je viens d'acheter.
Elle, c'est une grande fille nature, peau pain d'épices, salopette en jean et livre dépassant de la poche arrière : la Bible. Sa bible à elle, plus précisément, "Les quatre accords toltèques". Elle revient du Mexique où elle a rencontré Don Miguel Ruiz, en personne. Se fait appeler Dolores ou Remedios, des noms qui ont à voir avec le corps et ses désagréments. Les noms, tant qu'on ne les traduit pas, on ne sait pas, pense Valentin en débouchant la deuxième bouteille de Pinot noir.
Fais toujours de ton mieux, a-t-elle dit hier soir, avant de sombrer dans un sommeil comateux. C'est le quatrième accord du livre.
Dans le jour qui se lève aussi lentement qu'un bas descend sur une jambe de strip-teaseuse, Valentin mastique le deuxième accord de la bible : Quoi qu’il arrive, n'en fais pas une affaire personnelle.
Dans le buffet, dans le coffret à argenterie hérité de la grand-mère, il manque 8 couteaux, 0 cuiller, 7 fourchettes.
Elle a laissé sur le frigo un post-it qui dit : Je pars. Salut!
Le premier accord toltèque, momentanément égaré dans les méandres de sa mémoire immédiate, revient à Valentin : Que ta parole soit impeccable.
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