mercredi 8 octobre 2014

Dans ma tête c’était le Furby



     J’entendais encore les bruits sur le palier, portes qui claquent, locataires qui s’interpellent. Des gosses piaillaient dans l’appartement d’à côté. Il était minuit moins cinq. Je m’en souviens parce que j’avais quitté Carlos à moins le quart et qu’il me fallait dix minutes pour parcourir les huit cent sept mètres qui séparent sa piaule de la mienne, et grimper l’escalier dégueulasse boycotté par la gardienne, depuis le jour où elle avait cessé de lessiver les marches
Ce jour, j’en ai des frissons dans le dos, les poils qui se redressent sur les bras rien que d’y penser. Je sens encore la boue qui me colle aux semelles, sonorité spongieuse de cloaque.
La musique hurlait à travers la porte. Un truc de heavy metal. Le chanteur devait exorciser sa peur pour crier comme ça.
J’ai poussé la porte de l’épaule parce que je n’ose plus toucher la poignée sans penser à la grande inondation et je l’ai vu tout de suite, là, devant moi. Vingt centimètres, guère plus, une masse de poils gris avec un bec jaune, un genre de sphère hirsute d’où dépassaient deux oreilles mobiles qui s’agitaient dans tous les sens.
 
     J’aurais voulu me dissoudre dans le Grand Tout. Je jure que ça n’a pas duré. La pensée m’a traversée comme l’avion traverse le nuage. J’ai relevé le menton l’air bravache mais j’ai pissé dans ma culotte.
Il a cligné ses deux yeux froids et dans ses pupilles a surgi l’image d’un écran d’ordinateur.
J’ai ricané pour me donner une contenance. Je ne sais toujours pas s’il est capable de pensées ou piloté à distance par Eux. Le menton trop haut, je lui ai crié que j’étais venue pour la porte. Oh, mon Dieu, j’aurai tant voulu me dissoudre. Il a fermé à nouveau ses paupières de plastique sur ses globes inertes sans rien dire.

     La musique s’était tue. Le type avait arrêté de beugler sa race. Je distinguais ses traits maintenant. Il était maculé de cendres, des coulures scarifiaient son visage découpé par la balafre d’un sourire trop grand. On lui avait élargi la bouche d’un coup de peinture rouge sang.
J’ai redit ce que chacun doit dire dans cette situation :
- La porte. Ouvrez-moi la porte, la digue va céder.
Le chanteur a tiré une plainte de sa gratte. J’ai eu un haut-le-corps. C’était le bruit de la presse quand la benne se goinfre les miasmes du monde.
Plus bas j’ai supplié :
- La porte, il faut l’ouvrir. Venise va être submergée, laissez-moi passer de l’autre côté.
Alors la chose a couiné : « Cathy I love you » et je me suis réveillée.

     Au pied du lit, mon Furby chantonnait une chanson d’AC/DC. La bignole tapait à la porte comme une sourde en hurlant que le palier était dégueulasse. J’ai foutu ma tête sous mon coussin, mais j’ai vu mon Furby se tourner vers moi, son bec jaune s’est ouvert et il a dit : « Venise n’existe plus ». J’ai sorti ma tête et il a répété : « Venise a été engloutie ». C’est alors que j’ai entendu l’eau…


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