En montant dans le train, à 8 h 43 mn14 s, à Plutsch-sur-Seine,
Léonard a l’estomac dans les talons et le moral dans les chaussettes. Impuissant
à rectifier son histoire d’amour, si mal foutue en général qu’elle a mal fini,
il entreprend le paquet de chips qu’il finit bien. Il a résolu un problème sur
deux.
À 8 h 47 mn 8 s, comme
chaque fois qu’il prend ce train, c’est-à-dire souvent, il passe devant ce
drôle de petit appartement perché en nid d’aigle au sommet d’un vieil immeuble,
un parallélépipède presque carré exhibant une terrasse de surface équivalente
avec vue panoramique sur le lancinant ballet des trains. On aperçoit, à travers
les deux portes-fenêtres, les carreaux de derrière que la lumière traverse ;
sans la vitesse du train, on aurait pu y observer des humains in vivo, et
Léonard a souvent souhaité un ralentissement ou un arrêt imprévu pour espionner,
quoique l’étrange habitation parût inhabitée. Aujourd’hui, surprise : il y
a quelqu’un sur la terrasse.
Léonard
devine : incontestablement, l’homme fume une cigarette en regardant passer
les trains comme les vaches regardent passer le temps. Ils ont fait l’amour
jusqu’à 8 h 45 mn 23 s puis la femme s’est endormie. Le temps ne suspend pas son
vol, le train ne siffle pas, le rossignol ne chante pas, un pigeon pose même son
guano, pourtant l’instant est d’une beauté insurmontable. Le bonheur des autres
ne fait pas le malheur de Léonard, au contraire, des trombes d’eau salées
sortent enfin par ses yeux, libérant en son thorax un espace ( dont l’absence aurait
fini par lui être fatale) afin que le cœur y batte et l’air y circule. Le train
stoppe à la gare de Lyon à 8 h 56 mn 41 s. Il n’aura fallut que 807 secondes à notre
héros pour jeter deux cailloux hors de
sa chaussure.
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