La
rencontre. La sonnerie du téléphone interrompt la préparation
d’un joint, je déteste rouler, heureusement depuis que je prends
de la poudre je fume beaucoup moins, un truc positif. C’est Nadine,
putain ce que j’avais été accroc à cette gonzesse mais
impossible de croiser un mec sans qu’elle se le fasse, maintenant
qu’elle est dans le cinéma je n’imagine même pas...- Salut
Rico, j’ai un pote qui cherche un batteur pour passer au ″807″
dans 15 jours, ça te branche ? Elle en avait de bonne la
blanche neige des squats, le ″807″ l’endroit le plus branché
de la capitale.- Qu’est-ce qui fait comme zic ton pote ? - Du
punk super bien ! Elle a toujours été comme ça Nadine,
un rien l’emballe.- Ouais, tu sais moi je tripe plutôt
Rock- Ouais, ben justement BB le chanteur y dit que c’est du
Punk Rock, génial non ?- Et toi la vie ça
va ?- Couci-couça, en ce moment je fais un film avec BB
c’est comme ça que je l’ai connu, il est super sympa !- Mon
futur chanteur se tape mon ex, faut pas aller contre son destin.- Ok
je veux bien faire un essai- Bouges pas, je te le passe. - Où
tu veux que j’aille bourrique ? Je
l’adore.- Salut !- Salut !- J’essaie des
batteurs demain soir dans un garage à St Denis, tu peux passer ?- Ça
peut se faire. Tout est dit.
Le
″807″. En fait de concert au ″807″, on doit passer après
les ″Mozart siliconés″, un test de trois, quatre morceaux pour
voir si on assure. Une semaine on se pointe dans la boite histoire de
discuter le coup avec le patron et en boire un à l’œil. Ce con
nous emmène dans les chiottes, style « nous seront plus
tranquilles pour parler » et il nous demande de changer de nom,
sa boite a un certain standing et ″Les Morbacks″ ça fait naze.
Tu le crois toi ? Et là votre serviteur a été magistral, je
lui réponds : -Tu ne voudrais pas qu’on te fasse une pipe
aussi ? BB
diplomate en rajoute une louchette. - Dans trois mois tu nous
supplieras à genoux pour qu’on vienne pisser dans ta boite.
Pas
démonté le patron rigole doux amer et nous confirme pour la semaine
suivante. Pour le whisky, on peut aller le boire chez Simone, elle
fait des promos “spéciales pouillaves”.
Le
fameux soir, les ″Mozart siliconés″ finissent leur concert et à
peine ont-ils posé leur matos qu’on s’installe à leur place.
Lise la copine de BB s’assoit sur le bord de la scène, tout irait
pour le mieux si le bras droit du patron, une bite froide, ne lui
demande d’aller poser son fessier ailleurs. Lise, petite blonde au
visage de madone, faut pas la chauffer. Elle lui répond un truc
qu’il n’a l’air pas l’air d’apprécier et là il fait une
erreur, il la prend par le bras et la balance dans le public. BB tout
en chantant se rapproche de l’inconscient et lui balance son manche
de guitare dans la gueule, KO la crème de con. Pour ceux qui
préfèrent la dentelle aux chaînes, passez direct au prochain
épisode ou mieux arrêtez là. Sur la scène les amplis
s’éteignent, les rideaux se ferment et les videurs déboulent de
partout, une meute d’affamées, ça sent le carnage, notre bévue
est de nous diriger vers les loges, un véritable enchevêtrement de
petits couloirs. On court, on rigole, on flippe, derrière nous les
pas lourds de la horde sauvage. Arrivés au bout de l’interminable
labyrinthe, la loge semble minuscule, aucun passage secret, aucune
issue, on est dans le film de la vraie vie. A peine a-t-on repris
notre respiration que dans l’encoignure de la porte une tête de
nabuchodonosor à barbe apparaît, BB prend son élan et lui décoche
un pain digne du grand John Wayne, une sacrée paire de couilles mon
nouveau poto.
Sauf que le géant ne bronche pas, juste un
frémissement nasal et ensuite les éléments se déchaînent, pour
ma part je ne me plains pas, celui qui s’occupe de moi se contente
de me tenir par le cou à dix centimètres du sol, je regarde la
scène avec de la hauteur. Je ne dirai pas la même chose de Syl qui
se sert de sa basse comme un chevalier son épée, qu’a-t-il fait
ou dit pour énerver à ce point son cerbère, l’autre l’attrape
par les cheveux et le traîne dehors. Je cherche des yeux le gratteux
mais ″Fa le corse″ a carrément disparu ! Ça commence à
craindre sérieux quand la mère de BB se pointe en hurlant qu’on
assassine son fils. BB est sauvé in extremis, les nabuchodonosors
respectent les mères. Nous nous retrouvons devant la boite avec
quelques côtes cassées et les videurs qui se foutent de notre
gueule. Cela ne nous empêche pas d’y retourner la semaine suivante
et d’y foutre la zone, le patron ne nous en porte pas rigueur, on
inaugurera sa futur boite ″Le palmier électrique″ quelques
mois plus tard. Puis ce fut le temps des tournées.
Concert
à Blois. Le
concert commence dans 5 minutes et l’ampli refuse de sortir une
note. "Fa le Corse" se penche sur les prises de jack et
peste sur les nouvelles technologies numériques.- Où sont
passés nos bons vieux amplis à lampes ? Moi, comme
d’habitude je copine avec le trac en sirotant un whisky alors que
BB raconte la vie. Les rayons lumineux au-dessus des portes
clignotent, signe de notre imminente entrée sur scène. Ce soir est
un peu spécial, nous jouons à Blois et toute la famille du côté
de ma mère assiste au spectacle. Je les repère facilement au milieu
des punks. J’entends ma mère leur faire l’article « il ne faut
pas manquer le concert du petit, c’est absolument géééniaaal »
Ils ne s’attendaient pas à se retrouver dans une arène où les
taureaux ont des crêtes rouges. Tous ont répondu présents, la
tante Lucette et la cousine Raymonde inséparables, Roger le
patriarche en correspondance directe avec la guerre de 14 et une
kyrielle de cousines et cousins affichant une moue dubitative aux
frontières de l’étonnement et de l’anxiété. Bon c’est parti
on se passera du Combos, "Fa le Corse" vient de l’achever
à coups de Docs. Nos concerts ont une particularité quasi immuable,
ils commencent à fond par notre célèbre morceau "Les Morbacks
vous collent à la peau". Entre deux cymbales je vois Lucette et
Raymonde qui se cramponnent l’une à l’autre telles deux
naufragées sur une mer de voyous, Roger a carrément disparu du
champ de bataille. Les punks, frustrés de n’avoir pu bouger
pendant des heures, peut-être des jours, ne laissent aucune chance à
leur voisinage, ils dévastent avec une redoutable efficacité chaque
mètre carré de la salle. Entre deux roulements je maudis ma mère,
pourquoi fallait-il qu’elle se mêle de ma vie ? Si il y a une
couille, à tous les coups ça va être de ma faute ! J’aperçois
Roger à la buvette en grande discussion avec le barman, ils se font
des grands gestes d’un autre temps. La température monte d’un
cran quand BB enlève sa chemise et entonne "A ça ira, ça ira,
les aristocrates à la lanterne". Lucette a lâché Raymonde,
elle apprend le po-go dans les bras d’un géant vert, je commence à
avoir des crampes dans les poignets c’est toujours la même chose
je pars trop vite et au milieu du concert je bloque, faudrait que je
canalise mon énergie. Le concert se termine avec quelques éclopés
mais la famille va bien, je claque une bise et vais me coucher demain
on remet ça.
Ça
vient du fond de mon ventre ! Mes bras viennent du fond de mon
ventre. Mes deux bras frappent sans douceur et sans douleur, juste
une sensation de crampe dans les poignets qui accompagnent le
mouvement de mes bras. Mes poignets qui viennent du fond de mon
ventre tapent, ricochent, s’envolent puis recommencent.
Greffés
à mes poignets, des baguettes de bois claquent, rebondissent sur les
peaux, elles donnent vie au tempo. Rapide ou lent, le tempo est
régulier, silencieux il est toujours présent. La sueur coule sur
mes bras, sur mes poignets, mes doigts cloquent et saignent quand que
je lance les baguettes à l’assaut des hautes cymbales en cuivre.
J’ai mal, chaque coup cogne mes os, ouvre mes chairs. La chaleur
des projecteurs brûle ma peau. Ne pas ralentir, ne pas accélérer,
garder le tempo, toujours le tempo. Ce tempo que vient du fond de mon
ventre.
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