dimanche 13 octobre 2013

Démolir mêmement Chevillard


       On a nos habitudes. Chaque 18 septembre, on retrouve les brins d’herbe d’Éric Chevillard sur son blog. Vers le 20 janvier, on découvre la version papier d’une nouvelle saison de l’Autofictif. Autre rendez-vous régulier, celui d’avec « mêmement ». Chevillard est effectivement l’un des rares auteurs, avec Marie NDiaye, à utiliser cet adverbe. Oui, on a nos habitudes. Elles nous aident à supporter le reste.


       Dans chaque roman d’Éric Chevillard qu’on lit depuis Démolir Nisard, on attend fébrilement l’adverbe. Cette attente fut longue dans L’Auteur et moi. On commençait même à douter que le livre fût écrit par Chevillard. Avec l’arrivée de la fourmi, on en vint à croire au plagiat, au mauvais pastiche écrit par Bernard Werber pour nuire à l’auteur de Mourir m’enrhume. Car l’auteur a des ennemis, certains lui préfèrent Yann Moix (oui, Yann Moix !) comme chroniqueur, d’autres aimeraient le démollir (oui, avec deux l). Mais le pastiche n’était pas mauvais. Il tenait la route, celle de la fourmi. On saluait la prouesse de Werber, on y croyait presque. On se demandait si on ne lisait pas là le meilleur roman de Chevillard (pour Werber, c’était certain), son Pedigree modianesque où il nous livrait quelques clés, sur sa vie, sur son œuvre. Enfin, tout en gardant à l’esprit, malin comme on le connaît, que le gars, Werber ou Chevillard, on n’y comprend plus rien, devait nous jouer encore un tour. Jusqu’à cette page 179 où enfin on retrouvait l’adverbe, comme une signature, comme un sceau, et dans son délire on criait à sa compagne présentement occupée à l’épouillage du petit dernier : par l’adverbe mêmement, je certifie que la paternité de cette œuvre revient à monsieur Éric Chevillard, la compagne arrêtant net son ouvrage pour pousser un grognement d’approbation, même si l’adverbe n’est pas une condition suffisante, seulement nécessaire. Avec cette page 179 donc, Werber retournait dans sa fourmilière et Chevillard nous gratifiait d’un autre Démolir Nisard, d’un autre Sans l’orang-outan, deux romans qu’on porte haut dans notre palmarès, bien plus haut qu’un Choir, qu’on goûta peu, préférant de loin la version ramassée en deuxième partie de Sans l’orang-outan. Panique soudaine ! On se mit à craindre pour le prochain opus chevillardien, il pourrait refaire le coup du développement, reprendre une partie pour en faire un tout, une métonymie d’écriture, la deuxième partie de Sans l’orang-outan représentant Choir, ce petit roman dans le roman de L’Auteur et moi, en bas de page, devenant la page entière, annoncerait-il que le prochain sera un pastiche des Fourmis werberiennes ? Allait-il, à l’instar des punaises de Choir, seules créatures terrestres dignes d’être sauvées, raconter la fin de l’Humanité, bouffée par les formicidés ? On a peur, très honoré professeur. On n’est pas fier, chère infirmière.


       Puis, alors que ma compagne passait à l’épilation de notre ourse, on tomba sur cette intrigante erreur de conjugaison page 292 : « Mais toi qui vient vers lui ». On hurla : « Toi qui égale tu, bordel ! ». Notre ourse cria, sans qu’on sût si elle approuvait la règle de conjugaison ou si elle désapprouvait la technique de la bande encirée sèchement arrachée. On ne pensait pas l’homme capable d’une telle erreur, on a des enfants en primaire qui ne la font plus. On ne pensait pas moins les éditions de Minuit la laisser passer lors des corrections. Mais un livre sans aucune faute n’existe pas, alors quoi ? Alors pourquoi s’en émouvoir ? Pourquoi ce trouble ? Un auteur qui, livre après livre, en métronome adverbial, distille un « mêmement » n’aurait-il pas le droit d’écrire un « toi qui vient » ? Tout à coup, la révélation. On connaît un autre écrivain qui fait de même. Qui, par surcroit, fut longtemps publié par les éditions de Minuit : Marie NDiaye ! On se souvient aussi parfaitement de la page 76 de Puzzle (coécrit avec Jean-Yves Cendrey). Rappelez-vous de ce : « toi qui, paraît-il, conseilla ». Une coïncidence ? Minuit, « mêmement », conjugaison approximative : on a tôt fait de comprendre la supercherie. Éric Chevillard et Marie NDiaye sont une et même personne, un seul homme, ou une seule femme. La moitié du cerveau écrit des histoires, teintées de surnaturel, traite de la différence, des rapports familiaux, et l’autre moitié raconte des idées, uniquement armé de son style, négligeant le réel et les personnages au profit d’une arche de Noé. L’un vend, remporte des prix, l’autre se plaint de ne pouvoir nourrir sa famille et n’ambitionne que le Nobel, qu’il aura sans nul doute un jour béni de sa vieillesse. Voyez-vous, tout est clair, on a deviné : Éric NDiaye est double, Marie Chevillard folle. On veut les rejoindre.


       Mais on arrête de divaguer, professeur. On attend votre camisole, très estimé professeur. On voudrait rejoindre le plus cataleptique de vos patients pétrifiés.

2 commentaires:

  1. Brillant ! Toi qui viens vers moi, avec le soi pubère de ton ours pelucheux, tu as levé un lièvre ! Ainsi, gare au gorille, ennemi futile de l'orang-outan des cerises ! Panthère. L'œil accipitrin du lecteur a débusqué le pot aux roses : les félines éditions de Minuit tannent le cuir — la peau ou bien l'appeau — de Marie tandis que Éric compte les zébrures safranées d'un hippopotame... La coquille se fraie un chemin dans l'œuf pondu, à minuit, par les pairs Poulard de la littérature. Merci pour ce texte.

    RépondreSupprimer